10B/1.
COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
10° Chambre B
ARRÊT AU FOND
DU 21 FÉVRIER 2007
N' 2007/ .44.2,
A.M.P.C.
Décision déférée à la Cour
Jugement du Tribunal de Grande Instance de GRASSE en date du 21 Mai 2004 enregistré au répertoire général sous le n' 03/00110.
Rôle Pi' 04/11740
Hélène
Y.
épouse le
CI
APPELANTE
Madame Hélène Y épouse Y
représentée par la SCP TOLLINCHI PERRET-VIGNERON BARADAT-BUJOLI-TOLLINCHI, avoués à la Cour, plaidant par Me Valentin CESARI, avocat au barreau de NICE
Michel a
CAISSE PRIMAIRE INTIMES
D'ASSURANCE MALADIE DES Monsieur Michel X
ALPES MARITIMES
GENERALI
ASSURANCES IARD GENERALI ASSURANCES IARD venant aux droits de la SA GÉNÉRAL*
venant aux droits de FRANCE ASSURANCES, elle-mime venant aux droits de la COMPAGNIE
la Sa. GENERALI LA CONCORDE, aux terme* d'une délibération de l'Assemblée Générale FRANCE mixte du 17.12.2003, prise en la personne du Président de son Conseil ASSURANCES d'Administration domicilié au siège sis PARIS
représentés par la SCP JOURDAN-WATTECAMPS, avoués à la Cour, plaidant par la SCPA M. ... - F. SARDA ET ASSOCIÉS, avocats au barreau de PARIS
Grosse délivrée le
à usa SCP POUNCES la SCP JOURDAN
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES ALPES MARITIMES, assignée, prise en la personne de son représentant 14gal en exercice, domicilié en cette qualité au siège sis NICE CEDEX 2
défaillante
réf 0221108PC/41174Q
10&"2.
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a eé débattue le 24 Janvier 2007 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Nouveau Code de Procédure Civile, Madame A. M. ... - CHAUX, Président, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de
Madame Anne-Marie POIRIER-CHAUX, Président
Madame Dominique KLOTZ, Conseiller
Madame Cécile THIBAULT, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats Monsieur Christian GARRIGUES.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 21 Février 2007.
ARRÊT
Réputé contradictoire, Prononcé par mise à disposition au greffe le 21 Février 2007,
Signé par Madame Arme-Marie POIRIER-CHAUX, Président et Monsieur Christian GARRIGUES, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
1013/3.
FAITS ET PROCÉDURE
Le 27 décembre 1982, sur les conseils de son médecin traitant, Hélène Y souffrant de dysphonie, a consulté le Dr P.
Ce dernier a diagnostiqué un kyste épidermique sur la corde vocale gauche et procédé à l'ablation de celui-ci le 3 janvier 1983.
La dysphonie a persisté en dépit de deux injections de Téflon réalisées dans la corde vocale gauche les 15 mars 1983 et 20 mars 1984 et d'une rééducation vocale.
En octobre 1984, le Dr ... a procédé à une laryngoscopie directe et a fait poursuivre la rééducation orthophonique, sans amélioration.
En janvier 1988, le Dr SAl a examiné la patiente et l'a adressée aux Drs 0 et D , lesquels ont constaté l'existence de granulomes sur la face supérieure de la
corde vocale droite et l'irrégularité des deux cordes vocales.
Le 6 décembre 1989, le Dr 131 a pratiqué une intervention chirurgicale qui a permis la lasérisation de granulomes et l'ablation d'un kyste épidennoîde ouvert dans la corde
· . (Witt.
Depuis cette époque, la voix de Madame ... s'est très légèrement améliorée mais la dysphonie majeure persiste.
imputant ces désordres aux actes médicaux réalisés par le Dr PPHélène P a obtenu l'instauration d'une expertise médicale par ordonnance de référé du 24
février 1993.
Le Professeur ..., ainsi désigné, a déposé son rapport.
Hélène Y. r épouse P a fait assigner Michel X. ' par acte du 13 décembre 2002.
Par jugement du 21 mai 2004 le Tribunal de grande instance de GRASSE a
- déclaré recevable l'intervention volontaire de la compagnie d'assurance GENERALI FRANCE
- rejeté l'exception d'irrecevabilité soulevée par la compagnie d'assurance GENERALI FRANCE et le Dr Michel X.
- débouté Hélène Y. épouse P. de l'ensemble de ses demandes
- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile
- rejeté le surplus des demandes.
Par déclaration déposée le 21 juin 2004 et enrôlée le 28 juin 2004 Hélène Y a interjeté appel de cette décision.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 10 janvier 2007.
Postérieurement deux pièces (courrier de l'AFSSAPS du 15 décembre 2006 et rapport du docteur P. ' du 4 janvier 2000) ont été communiquées par l'appelante. Elles seront
écartées des débats comme étant de plein droit irrecevables.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
1°) L'appelante demande à la cour dans ses conclusions déposées le 4 janvier 2607
- de réformer le jugement entrepris
- de dire que le Docteur P. ' a commis une faute professionnelle en procédant à des
injections de TEFLON, médicament n 'ayant pas en France d'autorisation de mise sur le marché, et ce en infraction aux dispositions de l'article R 4127-21 du Code de la santé publique
- de dire que le Docteur P. n'a pas rempli son obligation d'information qui a été la
cause exclusive du dommage par elle subi
- de dire que le Docteur P a commis une erreur de diagnostic en ne prescrivant pas
d'examen de la corde vocale droite.
- de déclarer en conséquence le Docteur P. entièrement responsable de son préjudice corporel
- de désigner un expert pour l'examiner avec la mission suivante
1. examiner Madame ... , prendre connaissance de son entier dossier
médical, donner au tribunal tous éléments pour déterminer
si l'intervention chirurgicale du Docteur P, du 3 janvier 1983 a été faite
sur la corde vocale droite ou gauche si en pratiquant les actes médicaux sur elle, le Docteur P. ' a commis une
faute médicale en pratiquant des injections de TEFLON compte tenu des connaissances de la science médicale en 1983 si Madame ... présentait en 1983 sur la corde vocale droite une affection et si le Docteur P. a commis une faute médicale en ne traitant
pas cette affection 2. fixer le pretium doloris, l'incapacité total de travail, l'incapacité permanente partielle et k préjudice d'agrément de Madame ...
3. dire si malgré son incapacité permanente, Madame ... est au plan
médical physiquement et intellectuellement apte à reprendre, dans des conditions normales ou autre, l'activité qu'elle exerçait avant l'intervention du Docteur P ' au mois de janvier 1983 4. dans la négative, donner au tribunal tous éléments pour lui permettre de chiffrer
le préjudice économique de Madame ...
- de condamner solidairement la compagnie d'assurances GENERALI FRANCE et le Docteur P, à lui payer une provision de 23.000 euros sur son préjudice corporel et économique
- de les condamner solidairement à lui payer la somme de 3.000 euros pour frais non répétibles en application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
r) Les parties intimées
a) Michel X - et GENERALI ASSURANCES IARD venant aux droits de la SA
GENERALI FRANCE ASSURANCES demandent à la cour dans leurs écritures déposées le
8 janvier 2007
- de confirmer en toutes ses dispositions la décision déférée
- de débouter l'appelante de l'ensemble de ses prétentions
- de la condamner à lui payer la somme de 3.000 au titre des frais irrepétibles.
b) La CPAM des Alpes Maritimes a été assignée à personne habilitée par acte du 1" mars 2006. Elle n'a pas constitué avoué.
Le présent arrêt sera réputé contradictoire.
MOTIFS
II Sur l'analyse du rapport d'expertise
"Mme Y, I a consulté précisément le Docteur P. ' le 27 décembre
1982, parce qu'elle était dysphonique (la dysphonie était le seul motif de la consultation).
Le certificat du Docteur 0 qui l'a adressée au Docteur P , précise en
date du 28 juin 1992
"Je soussigné, certifie avoir consulté Madame Y. en octobre 82, pour un
problème de dysphonie majeur, présent probablement depuis plusieurs années m".
Dans son bilan de novembre 84, l'orthophoniste Madame ... note "...voix cassée
depuis 10 ans...".
Les actes médicaux du Docteur P. ne sont donc pas à l'origine d'une "perte de la voix"
comme le précise la mission, mais peuvent être qu'à l'origine d'une aggravation d'une dysphonie pré-existante.
La première intervention pratiquée par le Docteur P. le 3 janvier 1983 avec le
diagnostic pré-opératoire de "kyste épidermique de la corde vocale gauche" était indiquée. Elle a consisté à enlever le kyste, diagnostic confirmé par l'étude des coupes histologiques et d'anatomopathologie conservées par le Laboratoire REY et qui nous sont présentées ce jour. Devant la persistance et l'aggravation de la dysphonie après chirurgie et rééducation, et devant l'existence d'une fuite glottique due à une encoche de la corde vocale du côté gauche, le Docteur
G. ' a infiltré la corde vocale gauche avec du Téflon, à deux reprises, le 15 mars 1983 et le 20 man 1984.
L'absence de fermeture de la glotte en phonation, est une cause de dysphonie, et les gestes du
Docteur a étaient justifiés; à cette époque, l'injection de Téflon, représentait le
traitement classique recommandé pour les glottes insuffisamment fermées durant la phonation.
Dans le cadre des connaisanciss médicales de l'époque, ces deux gestes étaient donc justifiés. Il faut préciser que ces gestes n'ont porté que sur la corde vocale gauche...
Ces actes ne peuvent être tenus pour responsables des lésions objectives constatées par le
Docteur ...' le 6 décembre 1989, soit 5 ans plus tard sur la corde vocale droite
notamment "un kyste épidermique ouvert de la corde vocale droite".
Les lésions de la corde vocale gauche actuelles, sont bien la conséquence vraisemblable des injections de Téflon.
Ces lésions sont en rapport avec la nature du produit injecté, mais non avec une faute ou une négligence professionnelle du Docteur P Le Téflon a été utilisé dans les années 70 - 80, puis abandonné en raison de certaines intolérances locales, au profit du Phonagel, produit animal...
Si l'aggravation de la dysphonie entre le 27 décembre 1982 et ce jour est la conséquence directe des injections de Téflon, il n'y a pas de faute médicale, erreur ou négligence de la part du
Docteur P. et dans ce cas bien particulier, l'imputabilité peut être retenue, mais dans
le cadre de la responsabilité sans faute."
2') Sur l'obligation d'information
11 est constant que cette obligation porte sur les risques fréquents ou graves et normalement prévisibles. Elle porte sur un risque même exceptionnel. Encore faut-il que ce risque soit connu à l'époque des soins.
L'expert note dans son rapport que le Téflon a été utilisé dans les années 70-80. Cette expression ne signifie nullement de 1970 à 1980 (dans ce cas "les années 70" auraient suffi). Elle signifie que jusqu'en 1989 le Téflon était utilisé.
Hélènce C , à l'appui de sa thèse selon laquelle la nocivité du Téflon était connue à l'époque des soins qu'elle a reçus, se fonde sur un article de la Société Française d'Oto-rhino-laryngologie de 1984 dont l'un des auteurs est le docteur M. ...
intitulé "La voix humaine et ses troubles". On peut y lire "si le Teflon n'est pas la solution idéale, car produisant une corde rigide, épaissie, empêchant le "slow" cordai' de se réaliser, donc gênant le timbre, il permet néanmoins, aisément, de permettre à des sujets de tousser normalement et de récupérer très rapidement une puissance vocale correcte. Des produits d'avenir ... pourront peut-être être utilisés et permettront d'obtenir une corde plus souple...".
En aucun cas la moindre nocivité du produit n'est soulignée. Cet article confirme qu'au moins en 1984 le Téflon était largement utilisé. C'est dire que l'avis donné par le docteur dans sa lettre du 17 juillet 2004 et selon lequel il a proscrit les injections intra-cordales de Téflon cependant que d'autres ont continué à les pratiquer même après 1980, doit être apprécié avec la plus grande circonspection.
En résumé rien ne permet d'affirmer qu'au moment où le docteur P a réalisé les deux injections de Téflon, la nocivité de ce produit était connue et que celui-ci n'était pas autorisé de sorte qu'aucun manquement à l'obligation d'information ne saurait être retenu à l'encontre du docteur Michel X.
31 Sur la prétendue erreur de diagnostic
L'appelante se fonde sur le compte-rendu opératoire de l'intervention du 6 décembre
1989 pratiquée par le docteur M. ...' aux termes duquel "... du côté droit on
résèque en tranche d'orange une vaste poche de kyste épidermique ouvert qui était certainement la lésion initiale et qui a été négligée..."
Interrogé le docteur ... , dans son courrier du 17 juillet 2004, précise que le terme "négligée" veut dire "méconnue" ou "non traitée" ce qui était "pour l'opérateur
précédent une option tout à fait envisageable" . Sur la lésion découverte le 6 décembre 1989 sur la corde vocale droite le docteur ... t n'est pas davantage affirmatif. Il écrit qu'il
est vraisemblable que la lésion existait déjà en 1983 car "il s'agissait d'une pathologie congénitale". Il ajoute que cette théorie est contestée par des auteurs pour lesquels il s'agit de "lésions acquises". Il précise enfm qu'on ne peut "préjuger de l'aspect anatomique de cette lésion" ... car "il peut y avoir des modifications dans le temps". Donc aucune certitude sur l'époque de l'apparition de cette lésion.
L'expert judiciaire avait pour mission d'examiner Hélène Y. au regard des interventions pratiquées par le docteur P. le 3 janvier 1983 (ablation du kyste de la corde vocale gauche), les 15 mars 1983 et 20 mars 1984 (injections de Téflon dans la corde vocale gauche). Pour autant il s'est aussi intéressé à la corde vocale droite puisqu'il fait état de l'intervention chirurgicale du docteur ... le 6 décembre 1989 sur cette corde vocale.
La question se pose de savoir si cette corde vocale droite n'a pas, elle aussi, fait l'objet d'infiltrations de Téflon par d'autres médecins que le docteur P. '. En effet le docteur
..., dans le cadre de son rapport d'assistance à expertise, a noté "il semble que le docteur ... qui est intervenu en octobre 1984, ait réalisé une injection de Téflon au niveau de
la corde vocale droite" (cf page 8) "Il semble que la quatrième intervention par le docteur
SE ait consisté à infiltrer les deur cordes vocales pour obtenir la fermeture glottique"
(cf page 10). Selon le docteur ... les trois premières interventions sont celles du docteur P. -, la 5st, celle du docteur ... e. 6 décembre 1989.
Mieux, au verso du compte rendu opératoire de l'intervention du 6 décembre 1989 produit par l'appelante, figure à la date du 12 décembre 1989 le compte rendu de l'examen bistopatbologique (biopsies des cordes vocales) demandé le jour de l'intervention par le
docteur " Le professeur LOIRE, qui a procédé à cet examen après avoir reçu
le prélèvement le 8 décembre 1989, a noté
"Poche kystique de la c.v.d. (Corde vocale droite) On ne voit pas de kyste. La totalité du prélèvement est formée d'un tissu fibreux à l'intérieur duquel on retrouve de très nombreux corpuscules biréfringents en lumière polarisée entourés de cellules géantes ( probablement Téflon I).
Muscle cordai droit après injection de teflon aspect identique au précédent, correspondant à des volumineux granulomes à corps étrangers développés autour des fragments de Téflon, entourés de quelques reliquats de cellules musculaires striées."
Est-ce à dire que le docteur B. lui-même aurait lui-même utilisé le produit litigieux ? Cela étant, en l'état du dossier, rien ne permet de dire que, relativement à la corde vocale droite, le docteur P. ait commis le moindre manquement.
Pour l'ensemble de ces raisons il échet de confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré.
e) Sur l'article 700 du nouveau code de procédure civile L'équité commande de ne pas faire application de ces dispositions .
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, par décision réputée contradictoire, en matière civile et en dernier ressort
Écarte les deux pièces communiquées après l'ordonnance de clôture 10 BIS.
Confirme en toutes ses dispositions le jugement du 21 mai 2004
Déboute Hélène Y, de l'ensemble de ses prétentions
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile
Condamne Hélène Y. aux dépens qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du même code.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT