CIV. 1
L.G.
COUR DE CASSATION
Audience publique du 6 décembre 2007
Cassation partielle sans renvoi
M. BARGUE, président
Arrêt n° 1400 FS P+B
Pourvoi n° D
06-19.301
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant
Statuant sur le pourvoi formé par
1°/ Mme Jeanne Z, épouse Z, domiciliée Périgueux,
2°/ M. Jean-François Z, domicilié Notre-Dame de Sanilhac,
contre l'arrêt rendu le 30 juin 2006 par la cour d'appel de Bordeaux (5e chambre), dans le litige les opposant
1°/ à M. Paul Y, domicilié Périgueux,
2°/ à la société Polyclinique Francheville, dont le siège est Périgueux,
3°/ à la caisse régionale des artisans et commerçants d'Aquitaine, dont le siège est Bordeaux,
défendeurs à la cassation ;
M. Y a formé un pourvoi incident contre le même arrêt ;
Les demandeurs au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leur recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
Le demandeur au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, composée conformément à l'article L. 131-6-1 du code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 6 novembre 2007, où étaient présents M. Bargue, président, M. Lafargue, conseiller référendaire rapporteur, M. Gridel, Mme Crédeville, M. Gallet, Mme Marais, M. Taÿ, Mme Kamara, conseillers, Mme Cassuto-Teytaud, M. Trassoudaine, Mme Gelbard-Le Dauphin, M. Creton, Mme Richard, M. Jessel, conseillers référendaires, M. Domingo, avocat général, Mme Collet, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Lafargue, conseiller référendaire, les observations de la SCP Choucroy, Gadiou et Chevallier, avocat des consorts Z, de la SCP Defrenois et Levis, avocat de la société Polyclinique Francheville, de la SCP Richard, avocat de M. Y, les conclusions de M. Domingo, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Donne acte aux consorts Z du désistement de leur pourvoi à l'égard de la Polyclinique Francheville ;
Met hors de cause, à sa demande, la Polyclinique Francheville sur le pourvoi incident dont aucun des moyens ne la concerne ;
Attendu que, le 5 août 1998, Jean-Louis Z a été opéré par M. Y, en raison de lésions sténosantes majeures à l'origine d'une carotidie interne droite ; qu'une hémiplégie s'installait dès l'après midi du 5 août ; que l'état de santé du patient ne cessait de se détériorer jusqu'à son décès survenu le 23 novembre 2001 ; que sa veuve et son fils (les consorts Z) ayant assigné M. Y en responsabilité et indemnisation, la cour d'appel a partiellement accueilli leurs demandes ;
Sur le moyen unique du pourvoi principal des consorts Z
Attendu que les consorts Z font grief à l'arrêt, qui constate que M. Y n'avait pas rempli son devoir d'information envers eux, d'avoir dit que le préjudice subi par eux était exclusivement un préjudice moral et d'avoir, en conséquence, condamné M. Y à leur payer des indemnités de ce seul chef, alors, selon le moyen
1°) que la cour d'appel a constaté, d'une part, que M. Y avait manqué à son devoir d'information en n'indiquant pas le risque qui s'est réalisé et qui, d'après les experts, était un risque connu même s'il était rare, et, d'autre part, qu'il n'y avait pas un caractère d'urgence ; qu'en ne tirant pas les conséquences légales de ses propres constatations d'où il résultait que le patient avait été privé d'une chance de remettre l'opération et de ne pas subir, le 5 août 1998, jour de l'intervention litigieuse, le risque encouru, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil ;
2°) qu'en énonçant que Jean-Louis Z se serait fait opérer même s'il avait été avisé de la possibilité de la complication, la cour d'appel a procédé par voie d'affirmation, en violation de l'article 455 du nouveau code de procédure civile ;
Mais attendu que l'arrêt retient que si le médecin traitant du patient avait établi une attestation indiquant que l'opération n'avait pas un caractère d'urgence, il n'en restait pas moins qu'il avait adressé son patient quatre jours après ses derniers examens à M. Y, alors même que l'on était en pleine période d'été, ce qui démontrait son inquiétude ; que l'on devait considérer que, compte tenu de la gravité du problème cardiaque, de son évolution rapide, et du caractère relativement faible du risque encouru, présenté par les experts comme un risque rare, le patient se serait fait opérer, même si M. Y l'avait avisé d'une possibilité de complication; qu'il ne pouvait donc être soutenu que le défaut d'information avait fait perdre au patient une chance de ne pas subir la pathologie dont il a été atteint en rappelant que son affection mettait sa vie à plus ou moins longue échéance en danger et que le temps passé n'était pas pour lui un facteur d'amélioration ; que la cour d'appel a pu en déduire l'absence de lien causal entre la perte de chance alléguée et la faute de M. Y ;
D'où il suit que le moyen, qui manque en fait dans sa seconde branche, n'est pas fondé pour le surplus ;
Mais sur le premier moyen du pourvoi incident de M. Y, pris en sa première branche
Vu les articles R. 4127-36 du code de la santé publique et 1382 du code civil ;
Attendu que le médecin n'est tenu d'informer les proches du malade et de recueillir leur consentement que lorsque celui-ci est dans l'impossibilité de donner son accord ;
Attendu que, pour condamner M. Y à payer aux consorts Z une certaine somme à titre de dommages-intérêts, afin de réparer le préjudice moral subi par eux, à titre personnel, en raison du manquement, par M. Y, à son obligation d'information, l'arrêt retient que le préjudice de la veuve et du fils de Jean-Louis Z aurait été moindre s'ils avaient, eux aussi, été avisés des risques encourus par celui-ci, et qu'eu égard à la nature de ces risques, ils auraient dû l'être par M. Y ;
Qu'en statuant ainsi, alors que Jean-Louis Z étant en mesure de recevoir l'information et de consentir de façon éclairée aux soins proposés, le médecin n'avait pas à donner l'information litigieuse à l'entourage familial, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Et sur le second moyen du pourvoi incident de M. Y
Vu les articles R. 4127-36 du code de la santé publique et 1382 du code civil ;
Attendu que l'arrêt retient que le manquement, par M. Y, à son devoir d'information à l'égard de Jean-Louis Z avait été la source d'un préjudice moral ;
Qu'en statuant ainsi, quand le seul préjudice indemnisable à la suite du non-respect de l'obligation d'information du médecin, laquelle a pour objet d'obtenir le consentement éclairé du patient, est la perte de chance d'échapper au risque qui s'est finalement réalisé, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Et vu l'article 627, alinéa 2, du nouveau code de procédure civile ;
Attendu qu'il y a lieu de mettre fin au litige en faisant application de la règle de droit appropriée ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du premier moyen du pourvoi incident
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a débouté les consorts Z de leurs demandes dirigées contre la clinique, l'arrêt rendu le 30 juin 2006, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Déboute les consorts Z de leurs demandes dirigées contre M. Y ;
Condamne les consorts Z aux entiers dépens de la présente instance aussi qu'aux dépens afférents aux instances devant les juges du fond ;
Vu l'article 700 du nouveau code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du six décembre deux mille sept.