CA Douai, 3e, 07-09-2006, n° 05/04131



COUR D'APPEL DE DOUAI

TROISIÈME CHAMBRE ARRÊT DU 07/09/2006

W RG t 05/04131

Tribunal de Grande Instance de VALENCIENNES du 26 MM 2005 REF ElvIND

APPELANTE

Madame A. ... épouse ...

née le ..... à LOCQU1GNOL (59530)

Demeurant

représentée par la SCP CARLIER-REGNMR, avoués à la Cour

ayant pour conseil Me Lek RUOL, avocat au barreau de VALENCIENNES

INTIMÉS

Madame Sandrine P Z

rcpilst,ntée par la SCP DELEFORGE FRANCHE, avoués à la Cour assistée de Me Vincent POITE, avocat au barreau de L. ...

SOCIÉTÉ "LA MÉDICALE DE FRANCE"

Ayant son siège social


PARIS
représentée par la SCP DELEFORGE FRANCHI, avoués à la Cour assistée de Me Vincent POTE, avocat au barreau de LILLE

LA MGEN

Ayant son siège social


PARIS régulièrement assignée, n'ayant pas constitué avoué L'ÉTAT FRANÇAIS

représenté par l'agent judiciaire du Trésor

Demeurant


PARIS

représenté par la SCP COCHEMÉ-KRAUT-LABADIE, avoués à la Cour

CQMPQSITION DE LA_ COUR LORS DES DÉBATS ET DU DELIBERÉ

Madame ..., Président de chambre

Monsieur ..., Conseiller

Madame ..., Conseiller

GREFFIER LORS DES DÉBATS Madame AMBRO7WWW..z

DÉBATS à l'audience publique du 24 Mai 2006, Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

ARRÊT RÉPUTÉ CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 07 Septembre 2006 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Madame MERFELD, Président, et Madame AMBROZIEWICZ, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU 13 avril 2006 Sur le rapport de Madame MERFELD, Président de Chambre.

Madame A. ... épouse ... est appelante d'un

jugement rendu le 26 mai 2005 par le Tribunal de Grande Instance de VALENCIENNES qui l'a déboutée de son action en resoonsabilité introduite par assignation du 27 février 2004 contre le Docteur Sandrine 1' , gastro-entérologue, pour manquement à son obligation d'information.

Par conclusions du 27 mars 2006 elle demande à la Cour d'infirmer le

jugement, de dire que le Docteur Z a commis une faute en s'abstenant de l'informer du risque de perforation inhérent à toute coloscopie et en conséquence de la condamner, ainsi que son assureur, la société "La Médicale de France", à réparer son préjudice se décomposant comme suit

- préjudice moral à la suite de la sévère dépression résultant de son état corporel 4.574,00 f

- incapacité temporaire totale du 3 août au 10 septembre 2001 et incapacité temporaire partielle de 1/4 du 11 septembre au la octobre 2001 1287,00 f

- souffrances endurées 3/7 7.623,00 euros

Elle sollicite en outre la condamnation du Docteur Z. à lui verser une somme de 2.000 e sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Elle expose

- qu'enseignante en Polynésie Française elle devait impérativement rejoindre son poste en août 2001,

- qu'enjuillet 2001 elle a consulté le Docteur Z. _ pour un problème de constipation accompagné de fortes douleurs abdominales et de ballonnements,

- que le Docteur Z. lui proposa une coloscopie qui fut effectuée le 3 août 2001 et au cours de laquelle s'est produite une perforation du colon gauche qui a dû être suturée par le Docteur ... , chirurgien,

- qu'elle a dû être transférée au service de chirurgie de la clinique, porteuse d'une sonde gastrique, d'une sonde vésicale, d'une lame de drainage et d'une perfusion, que les suites opératoires ont été marquées par un épisode de diarrhée profuse et que ce n'est que le 15 août 2001 qu'elle a pu quitter la clinique avec une ordonnance prescrivant des soins pour huit jours, que jusqu'a la fin du mois d'août le transit se fera mal et cette période a été également marquée par une inappétence et des douleurs abdominales,

- qu'alors que son départ pour la Polynésie avait été programmé le 15 août 2001 ce n'est que le la octobre 2001 qu'elle a quitté la France et à son arrivée en Polynésie elle a constaté que son poste de titulaire avait été pourvu en son absence, qu'elle n'a pu être accueillie qu'en qualité de remplaçante avec perte de son statut alors qu'en vertu d'un arrêté du 12 septembre 2000 elle avait la qualité de professeur des écoles hors classe placé auprès du gouvernement du territoire de la Polynésie Française pour une durée de deux ans, que ce poste n'a pu lui être rendu qu'en août 2002,

- que cette situation a été à l'origine pour elle d'une profonde dépression, d'une importante perte de revenus et de frais annexes.

Elle soutient que si elle avait été informée du risque de perforation inhérent à toute coloscopie elle n'aurait pas accepté de subir cette intervention et que le manquement au devoir d'information incombant au médecin l'a mise dans l'impossibilité de donner un consentement libre et éclairé.

Le Docteur ... et la société "La Médicale de France" ont conclu lé 18 octobre 2005 à l'irrecevabilité de la demande présentée par Madame ... 'sur le fondement de l'article 1382 du code civil et subsidiairement à la confirmation du jugement

Le Docteur Z soutient qu'aucune faute ne peut lui être reprochée.

Elle affirme avoir respecté son devoir d'information.

Elle ajoute qu'il n'existe aucun lien de causalité entre le préjudice et le défaut d'information allégué car Madame .... n'apporte pas la preuve qu'elle aurait refusé l'acte d'investigation si elle avait été informée des diverses complications possibles.

Par conclusions du 9 septembre 2005 l'Etat Français, représenté par

l'Agent Judiciaire du Trésor, s'associe à. l'argumentation de Madame ... ' sur la responsabilité du Docteur Z et demande la condamnation solidaire du Docteur Z. et de son assureur à lui payer la somme de 6.553,07 E représentant la rémunération versée à l'enseignante pendant la période d'incapacité temporaire totale et la somme de 3.353,47 E représentant les charges patronales y afférentes, le tout avec intérêts au taux légal à compter du 2 juin 2004, date de signification de ses conclusions de première instance.

Il se porte demandeur d'une indemnité procédurale de 760 E.

La MGEN, assignée à personne habilitée le 21 novembre 2005, n'a pas constitué avoué.

5131Set

Attendu que par ordonnance de référé du 11 février 2003 le Docteur

Li a été commis en qualité d'expert pour dire si les soins prodigués à Madame ... ' par le Docteur Z ont été attentifs, diligents et conformes aux données acquises de la science médicale et déterminer les éléments du préjudice de Madame ...

Attendu que l'expert a établi son rapport le 11 juin 2003 ; qu'il conclut que la perforation intestinale dont Madame ... a été victime ne relève en aucune manière d'une maladresse, négligence ou d'un acte médical faune qu'une telle perforation est un risque recensé dans la littérature médicale dont la fréquence est estimée à 1 % de l'ensemble des coloscopies pratiquées, qu'un tel risque perforatif nécessite une information médicale préalable du patient afin d'obtenir de lui un consentement donné en connaissance de cause, que Madame ... ' conteste avoir été informée de ce risque par le Docteur ... alors que le médecin gastro-

entérologue allègue le contraire, ce qui amène à penser que si l'information a été donnée, elle n'a pas été perçue ni comprise par la patiente ;

Que l'expert déclare que l'accident de perforation colique sous coloscopie a été à l'origine d'une incapacité temporaire totale qui s'est étendue du 3 août au 10 septembre 2001, puis d'une incapacité temporaire partielle d'un quart du 11

septembre au 1" octobre 2001 et que Madame ... ne conserve aucune incapacité permanente partielle ; qu'il chiffre les souffrances endurées à 3/7 et le préjudice esthétique à 0,517 ;

Attendu que Madame ... ne reproche aucune faute de technique médicale au Docteur Z ' mais un manquement à son devoir d'information ;

qu'après avoir visé l'article 1382 du code civil dans ses conclusions du 26 août 2005 elle a rectifié le fondement de sa demande par des conclusions ultérieures pour invoquer, plus justement l'article 1147 du code civil ; que les parties étant unies par un contrat, la i responsabilité du médecin est de nature contractuelle ;

Attendu que le Docteur Z produit un document intitulé

"consentement éclairé du patient" signé par Madame ... le 3 août 2001 date de la coloscopie dans lequel il est indiqué "en signant ce document volts reconnaissez avoir bénéficié d'une information objective, claire et complète par votre praticien quant à la nature et le stade de la maladie, l'évolution prévisible de l'affection, les alternatives thérapeutiques ou les conséquences ou séquelles pouvant être engendrées par le geste pratiqué" ;

Attendu qu' honnis le cas d'urgence, d'impossibilité ou de refus du patient d'être informé, un médecin est tenu de lui donner une information loyale, claire et appropriée sur les risques graves afférents aux investigations et soins proposés et qu' il n'est pas dispensé de cette obligation par le seul fait que ces risques ne se réalisent qu'exceptionnellement ;

Que c'est au médecin qu'il incombe de prouver qu'il a complètement exécuté son obligation d'information ;

Que la seule signature de Madame ... du document

"consentement éclairé du patient" établit seulement qu'elle a reçu une information du Docteur Z _ mais ne démontre pas que cette information a porté sur le risque de perforation intestinale ;

Oit le Docteur Z prétend qu'avant la coloscopie elle a lu et remis à Madame ... ' un document édité par la société Nationale Française de Colo- Proctologie qui fait expressément état des complications inhérentes à la coloscopie, la perforation de la paroi intestinale qui peut rendre une opération nécessaire (avec ses propres risques), ce que Madame ... _ ' conteste ;

Que l'exemplaire de ce document se trouvant au dossier du Docteur et qui tient en une seule page ne comporte aucune information sur le risque de perforation ; qu'en toute hypothèse le Docteur Z , sur qui pèse la charge de la preuve, ne démontre pas l'avoir lu ou remis à Madame ...

Qu'il convient donc de considérer n'elle n'établit pas avoir respecté son obligation d'information sur le risque de perforation intestinale au cours de la coloscopie ;

Attendu que l'objet du consentement éclairé à l'acte médical est d'offrir au patient une liberté de choix quant au traitement ou à l'investigation médicale, celui de l'accepter ou de le refuser ; que la réparation du dommage causé par le défaut d'information est donc fondée sur la perte de chance que le patient aurait eue de refuser l'intervention et donc d'échapper au risque qui s'est finalement réalisé ;

Attendu qu'il convient de rechercher si la chance perdue présente un degré de probabilité suffisant pour être considérée comme réelle et sérieuse et donc pour être réparée ;

Qu'il résulte du rapport d'expertise ainsi que des conclusions de l'appelante que Madame ... soufflait d'un problème de constipation depuis cinq aimées, qui s'était aggravé les derniers mois et qui l'avait fortement inquiétée selon ses propres déclarations ; que cette pathologie qui résistait malgré un traitement laxatif s'accompagnait de fortes douleurs abdominales et de ballonnements ; qu'elle avait consulté le Docteur Z tin que ce praticien vérifie l'absence de polype dans son colon avant de partir pour la Polynésie ;

Attendu qu'il résulte de ces éléments que MadameD craignait de rencontrer des problèmes de santé en Polynésie et qu'elle souhaitait être rassurée sur son état en raison de la majoration de ses troubles ; que le Docteur Z rappelle à juste titre qu'il convenait d'éliminer la possibilité d'un cancer du colon ; que l'acte -) endoscopique était le seul moyen de procéder aux vérifications nécessaires et s'imposait médicalement compte tenu des symptômes présentés ;

Que Madame ... ' a accepté le risque lié à l'anesthésie qui a précédé la coloscopie ; que dans ces conditions et compte tenu de son état d'inquiétude qu'elle reconnaît elle-même dans ses conclusions, il n'apparaît pas que même si elle avait été informée du risque de perforation elle aurait refusé la coloscopie après avoir mis en parallèle le risque encouru et les avantages que l'acte devait lui procurer ;

Qu'il convient donc de confirmer le jugement qui l'a déboutée de son action contre le Docteur Z. et son assureur ;

Attendu que par voie de conséquence les demandes de l'Etat Français seront également rejetées ;

PAR CES MOTIFS

La Cour, Statuant en audience publique, par arrêt réputé contradictoire,

Confirme le jugement,

Y ajoutant, déboute le Trésor Public de ses demandes,

Condamne Madame .... _ 2 aux dépens de son appel avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP ItELEFORGE-FRANCHI, avoués,

Condamne le Trésor Public aux dépens de son appel incident avec droit de recouvrement direct au profit de SCP DELEFORGE-FRANCHI, avoués.

Le Gr i ter, Le Président,

S. AM'ROZIEWICZ RFELD