CA Versailles, 3e, 21-12-2006, n° 05/06698



LE VINGT ET UN DÉCEMBRE DEUX MILLE SIX, ecteen'tei.,, La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre Extrait des minutes de Greffe

COUR RÉPUBLIQUE FRANÇAISE / +.ci Cour d'Appel de Versailles

DE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS OpiE VERSAILLES

1/ Madame A. F. ... épouse ... Code nac 63A

3ème chambre ARRÊT N' 644

REPUTE

CONTRADICTOIRE

DU 21 DÉCEMBRE 2006 F_.G.N° 05/06698 AFFAIRE

2/ Monsieur A. T. ... agissant tant en leur nom personnel qu'en leur qualité de représentants légaux de leur fille mineure Dorianne
LA MOTTE SERVOLEX 3/ Madame A. J. M. ... épouse ...


GUERANDE
représentée par la SCP TUSET-CHOUTEAU, avoués - N° du dossier

20050394

plaidant par Me VERDIER, avocat au barreau d'ORLÉANS

-APPELANTS et INTIMES - --

A. F. DURAND C/ 1/ SA UCB PHARMA

SA
NANTERRE

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Décision déférée à la représentée par la SCP KEIME GUTTIN JARRY, voués - N° du cour Jugement rendu dossier 05000804 le 10 Juin 2005 par le plaidant par le cabinet BOPS, avocats au barreau de PARIS Tribunal de Grande Instance de INTIMÉE et APPELANTE

NANTERRE

N° Chambre I 1\1° Section B

N° RG 10605/02

INTIMÉE DEFAILLANTE

En application des dispositions de l'article 786 du nouveau code de procédure civile, l'affaire a été débattue' à l'audience publique du 01 Décembre 2006 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Mme ..., président chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de

Madame B. .... piésident, Monsieur M. ..., conseillèr, Madame M. ..., conseiller,

Greffier, lors des débats Madame Marie-Claire THEODOSE



A/7,}-1(

2/ CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE SAVOIE


CHAMBERY

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité'-audit siège

A. ... épouse ..., née le 29 mars 1963, a été exposée in utero au distilbène, médicament prescrit à sa mère pendant la grossesse et commercialisé par le laboratoire UCEPHA devenu UCB PHARMA.

Dès l'âge de 16 ans, suite à une aménorrhée elle a consulté un médecin gynécologue qui a constaté un petit utérus. Les problèmes d'aménorrhée subsistant malgré les traitements, elle a consulté à nouveau vers l'âge de 29 ans et a alors appris son exposition in utero au distilbène.

A. ... s'est mariée en 1994. Enceinte en décembre 1995, le début de grossesse s'est déroulé normalement. En avril 1996, elle fut mise au repos du fait de l'ouverture du col. Hospitalisée en urgence pour hémorragie, elle a mis au monde à quatre mois et demi de grossesse, le 7 mai 1996, une petite fille non viable, décédée, prénommée Saskia. Cet accouchement prématuré a été rattaché à une hypoplasie utérine.

De nouveau enceinte en décembre 1997, elle a accouché prématurément, le 22 mai 1998, d'une petite fille prénommée Dorianne qui pesait 700 grammes.


Considérant que l'hypoplasie utérine dont elle est atteinte est la conséquence directe de son exposition in utero au distilbène prescrit à sa mère, elle a saisi le tribunal de grande instance de Nanterre par acte du 21 août 2002.

Par décision du 28 mars 2003, le juge de la mise en état a ordonné une mesure d'expertise et commis pour y procéder un collège d'experts.

' Les docteurs ..., ... et ... ont déposé leur rapport le 5

novembre 2004.

Par jugement du 10 juin 2005, le tribunal de grande instance de Nanterre a - déclaré le jugement commun à la CPAM de Savoie

- dit n'y avoir lieu à nullité du rapport d'expertise, à recours à une question préjudicielle à la CJCE, ni à voir écarter des débats les pièces 54, 57, 71 et 72, ni à dommages-intérêts pour abus de droit

- déclaré la société UCB PHARMA responsable sur le fondement des articles 1165, 1382 et 1383 du code civil des malformations gynécologiques dont est atteinte A. ... épouse ...

- condamné la société UCB PHARMA à payer

à A. ... épouse ..., la somme de 60.000 euros en réparation de son préjudice corporel à A. ..., la somme de 5.000 euros en réparation de son préjudice moral à A. ... épouse ..., la somme de 5.000 euros en réparation de son préjudice moral aux consorts ..., la somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile

- ordonné l'exécution provisoire

- débouté les époux ... de leur demande d'expertise pour leur fille ...

- condamné la société UCB PHARMA aux dépens comprenant les frais d'expertise.

Les consorts ... ont interjeté appel de cette décision le 30 août 2005.

La société UCB PHARMA a interjeté appel de cette décision le 18 novembre 2005.

Les procédures ont été jointes par ordonnance du 9 décembre 2005.

Aux termes de leurs dernières conclusions signifiées le 27 novembre 2006 auxquelles il est expressément renvoyé pour plus ample exposé, Amie-Françoise DURAND épouse LOF, A. ... et A. ... demandent à la cour, au visa des articles 1165, 1382, 1383 et 1353 du code civil, de

- confirmer pour partie le jugement déféré

- dire que les malformations utérines sont consécutives à la prise du distilbène pendant la grossesse de A. ... et à l'exposition in utero de l'enfant

- déclarer la société UCB PHARMA responsable du dommage subi par A. ... épouse ... et tenue de le réparer

- l'infirmer pour le surplus

- statuant à nouveau

- condamner la société UCB PHARMA au paiement des sommes suivantes en réparation du préjudice subi par A. ... épouse ...

· préjudice soumis à recours (hors créance de la CPAM) 12, 8 euros

· préjudice de la douleur 25.000,00 euros

· préjudice sexuel , 35.000,00 euros

· préjudice spécifique 125.000,00 euros

- condamner la société UCB PHARMA au paiement de la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'ariicle 1382 du code civil pour abus du droit d'agir en exception de nullité du rapport d' expertise

- condamner la société UCB PHARMA à payer à A. ... la somme de 10.000 euros au titre de son préjudice moral propre et la somme de 8.000 euros au titre de sbn préjudice d'affection par ricochet

- condamner la société UCB PHARMA à payer à A. ... la somme de '10.000 euros au titre de son préjudice moral -3-

- ordonner une mesure d'expertise médicale de l'enfant D. ... aux frais avancés de la société UCB PHARMA

- condamner la société UCB PHARMA au paiement de la somme de 13.000 euros sur le fondement de l'article' 700 du nouveau code de procédure civile comprenant notamment les frais de déplacements et l'assistance aux opérations d'expertise à Nantes

- condamner la société UCB PHARMA aux entiers dépens comprenant les frais d'expertise avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP TUSET CHOUTEAU, avoués, conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 29 novembre 2006 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé, la société UCB PHARMA demande à la cour de
. à titre principal

- infirmer le jugement déféré en ce qu'il a retenu sa responsabilité et statuant de nouveau

- dire et juger que la combinaison des articles 1165 et 1382 du code civil est inapplicable en l'espèce

- dire et juger que la responsabilité alléguée d'UCB PHARMA doit s'apprécier au regard des seules règles de la responsabilité délictuelle tant à l'égard de A. ... qu'à celui de sa mère et de son époux

- dire et juger, au visa de l'article 6 de la CEDH, que le principe de précaution, dont l'obligation de vigilance n'est qu'une modalité, n'est pas une règle autonome de la responsabilité civile, qu'elle soit contractuelle ou délictuelle, que le principe de précaution n'était pas en vigueur à l'époque des faits, que sa responsabilité doit s'apprécier au regard des seules obligations en vigueur en 1962-1963 et, en conséquence, écarter l'application du principe de précaution

- en toute hypothèse,

- dire et juger qu'elle n'a pas commis de faute en ayant maintenu la commercialisation du distilbène en 1962-1963 compte tenu de l'état des connaissances scientifiques de l'époque

- dire et juger que sa responsabilité ne peut être retenue et rejeter toutes les demandes . subsidiairement -

· - dire et juger que la demande de nullité du rapport d'expertise motivée pat la partialité des experts n'est pas constitutive d'un abus de droit

- constater qu'elle abandonne sa demande. de nullité du rapport d'experfise dans le cadre de la présente instance

- débouter A. ... épouse ... de sa demande en dommages-intérêts au titre d'un prétendu abus de droit de sa part

- sur le préjudice économique de A. ... épouse ...

- dire et juger que l'indemnité allouée au titre de l'ITT ne saurait excéder la somme de 2.000 euros

- dire et juger que l'indemnité allouée au titre de l'IPP ne saurait excéder 28.000 euros

- sur les préjudices personnels de A. ... épouse ...

- vu l'article 31 de la loi du 5 juillet 1985,

- dire et juger que la notion de préjudice spécifique de contamination n' a pas lieu d'être transposée en l'espèce,

- en conséquence,

- infirmer le jugement déféré en ce qu'il a alloué une indemnité au titre d'un préjudice spécifique

- dire et juger que l'évaluation des préjudices de A. ... épouse ... devra se faire au regard des chefs de préjudice défmis à l'article 31 de la loi du 5 juillet 1985 soit

le pretium doloris, évalué à 5/7 recouvrant tant les souffrances physiques que les souffrances psychiques ou morales, sera indemnisé par une somme qui ne saurait excéder 20.000 euros

· le préjudice sexuel n'est pas établi

- sur les demandes de A. ...

- dire et juger que les préjudices invoqués par A. ... constituent en réalité un seul et même préjudice moral et que ce préjudice ne saurait excéder 2.000 euros

- sur la demande de M. ...

- dire et juger que le préjudice moral de A. ... ne saurait excéder 5.000 euros

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a rejeté la demande d'expertisé dés époux ... pour l'enfant Doriannne

- réduire à de plus justes proportions la demande sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile

- condamner les consorts ... aux dépens de première instance et d'appel avec droit de . recouvrement direct au profit de la SCP KEIME GUTTTN JARRY, avoués, conformément à l'article 699 dû nouveau code de procédure civile

La CPAM de Savoie régulièrement assignée par acte du 24 mars 2006 n'a pas constitué avoué mais, a indiqué par lettre du 24 mars 2006 ne pas avoir de créance à faire valoir.

· L'ordonnance,de clôture a été rendue le 30 novembre 2006.

- sur la demande en dommages-intérêts pour abus de droit

Devant les premiers juges, la société UCB PHARMA avait conclu à la nullité du rapport d'expertise pour partialité des experts et plus particulièrement du docteur ....

En cause d'appel, la société UCB PHARMA a abandonné cette demande compte tenu de la décision rendue par la cour d'appel de Versailles le 5 janvier 2006 rejetant sa demande de récusation de l'expert M. ... malgré les manquements de celui-ci au devoir de réserve résultant de ses publications.

Il convient de lui en donner acte.

Certes la société UCB PHARMA a sollicité à de nombreuses reprises la récusation de l'expert, M. ..., puis a conclu à la nullité du rapport du collège d'experts mais cette multitude de demandes s'explique par le nombre des instances en cours relatives aux demandes d'indemnisation des victimes du distilbène et non à un acharnement procédural à l'encontre de chaque demandeur. - Par ailleurs, dans son arrêt du 5 janvier 2006, la cour d'appel de Versailles a confirmé la décision du juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Nanterre rejetant la demande de récusation du docteur ... mais a relevé des manquements déontologiques au devoir de réserve qui oblige tout expert, caractérisés en l'espèce en ces termes "il est certes regrettable que le docteur ... alors qu'il est en charge .... à raison de sa compétence notoire dans ce domaine scientifique, de missions d'expertise dans des dossiers graves tant sur le plan humain qu'économique, se prévale de sa qualité d'expert judiciaire pour véhiculer ses idées et ses opinions personnelles sur un ton souvent excessif et se défendre contre ce qu'il estime être des attaques personnelles alors qu'il ne s'agit que de l'exercice d'un droit par ceux qui demandent sa récusation ou critiquent ses avis dans des débats judiciaires".

L'attitude du docteur ..., dont ni les victimes ni la société UCB PHARMA ne sont responsables, explique les contestations émises par cette dernière qui pouvait craindre une certaine partialité de cet expert.

En exerçant le droit qui appartient à tout justiciable de contester la validité d'un rapport d'expertise et en exerçant son droit d'appel, la société UCB PHARMA n'a commis aucun abus de droit et ce d'autant qu'elle a tiré les conséquences de l'arrêt rendu par la cour d'appel de Versailles pour abandonner sa demande de nullité du rapport d'expertise en cause d'appel.

La demande en dommages-intérêts de ce chef doit être rejetée. - sur la responsabilité de la société UCB PHARMA

Il est établi et non contesté par la société UCB PHARMA qu'un traitement par distilbène a été prescrit à A. ... d'octobre 1962 à février 1963 alors qu'elle était enceinte d'Anne-Françoise. Les documents versés aux débats, obtenus avec beaucoup de difficulté compte terni du temps écoulé, suffisent à établir l'exposition in utero à ce médicament.

Compte tenu des circonstances dans lesquelles A. ... épouse ... a été atteinte, il convient de rechercher la responsabilité de la société UCB PHARMA non sur le fondement contractuel mais sur un fondement délictuel par application des articles 1165, 1382 et 1383 du code civil selon lesquels les tiers à un contrat sont fondés à invoquer tout manquement du débiteur contractuel lorsque ce manquement leur a causé un dommage, sans avoir à rapporter d'autre preuve, étant précisé que la commercialisation du produit repose bien sur une succession de contrats, peu important qu'il n'existe pas de lien contractuel direct entre le laboratoire et la patiente à laquelle le traitement est prescrit.

Selon le rapport d'expertise médicale du collège d'experts désignés le 28 mars 2003, il ressort de la littérature médicale qu'une exposition in utero au DES peut se solder par des anomalies morphologiques de l'utérus ainsi que par des avortements spontanés ou des accouchements prématurés, que la mise à jour de l'AFSSAPS actualisée en janvier 2003 considère que les fausses couches tardives (à 17 -22 semaines d'aménorrhée comme ce fut le cas pour Anne-Françoise LOF) sont particulièrement caractéristiques d'une exposition in utero au DES, que les recommandations du DESAD Project de 1983 tiennent pour acquis le risque de fausse couche tardive chez les femmes exposées au distilbène, que des anomalies de la morphologie utérine, notamment des utérus hypoplasiques, ont été répétitivement décrites par la plupart des auteurs ayant eu à suivre des filles exposées au distilbène, que l'étude de Herbst et coll de 1980 qui visait à évaluer l'efficacité du DES chez les femmes enceintes, sur la base d'un suivi à long terme des `destendantes des femmes incluses dans la vieille étude comparative de Dieckmann et coll de 1953, a démontré que les problèmes de fécondité se retrouvent plus fréquemment chez les femmes exposées in utero au distilbène que chez celles non exposées, qu'il s'agisse d'anomalies morphologiques de l'utérus ou de complications gravidiques, le handicap des filles exposées est largement confirmé par la revue relativement récente de Giusti et coll (1995).

Les experts ont relevé que "l'histoire obstétricale de madame ... est classique du DES. Successivement elle a présenté un avortement tardif du deuxième trimestre de la grossesse sans cause infectieuse ni malformative, un accouchement très prématuré à deux semaines de plus que la grossesse précédente caractéristique des hypoplasies utérines... De plus ... l'expulsion foetale irrésistible "en coup de canon" est tout à fait caractéristique des accouchements sur utérus distilbène".

Si, pour des spécialistes de la iatrogénie, il n'est jamais possible de prétendre qu'il existe un rapport de causalité certain entre une exposition médicamenteuse et une complication quelle qu'elle soit, il résulte néanmoins des recoupements opérés que la causalité est probable

_ entre l'exposition in utero au DES de A. ... épouse ... et les anomalies utérines responsables des complications gravidiques qui ont émaillé ses --deux grossesses successives.

Selon le rapport générai d'expertise dressé par le collège de quatre experts désignés en septembre 1994, avant 1967, et dès les années 1953-1954, les doutes sur l'efficacité du distilbène dans l'indication d'avortement spontané et la littérature expérimentale qui faisait état de la survenance de cancers très divers auraient dû justifier une attitude différente du laboratoire UCB. En effet les études expérimentales chez l'animal (Lacassagne et al.1938 et Gabriel-Robez et ai.1967) ont trouvé des effets défavorables, cancers ou. malformations comme des fentes palatines et des anomalies cardiaques. D'autres études sur l'animal en 1942, 1947, 1950, 1952, 1959, bien que leurs conclusions ne soient pas à l' époque. directement transposables à l'homme, qui avaient révélé des effets toxiques généraux y compris des effets tératogènes, auraient du

· conduire le laboratoire UCB d'une part, à surveiller l'efficacité de son produit d'autre part à poursuivre les recherches sur ses conséquences à,plus ou moins long terme sur les femmes auxquelles le médicament était prescrit.

Malgré les doutes portant à la fois sur l'efficacité du distilbène et sur son innocuité dont la littérature expérimentale faisait état, la société UCB PHARMA n'a pris aucune mesure alors qu'elle aurait dû agir même en présence de résultats discordants quant aux avantages et inconvénients. En méconnaissant les avertissements contenus dans la littérature médico-scientifique de 1939 à 1962, elle a manqué à son obligation de vigilance, attitude constitutive d'une faute de nature à engager sa responsabilité.

Il est ainsi établi par des présomptions graves, précises et concordantes que le distilbène, produit dont la société UCB PHARMA a fautivement maintenu la distribution destinée aux femmes enceintes, a provoqué les malformations dont A. ... épouse ... est atteinte.

Le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a déclaré la société UCB PHARMA responsable sur le fondement des articles 1165, 1382 et 1383 du code civil des anomalies morphologiques dont est atteinte A. ... épouse ....

- Sur les demandes de A. ... épouse ...

Il résulte du rapport des experts judicjaires, le professeur ..., le docteur ... et le docteur M. ..., dont les conclusions seront retenues par la cour dans la mesure où elles procèdent d'une analyse complète, claire et minutieuse et ne sont remises en cause par aucune pièce médicale contraire que

A. ... épouse ..., exposée in utero au distilbène pris par sa mère, présente des anomalies de la morphologie utérine qui lui imposent de renoncer à toute autre grossesse

· l'incapacité temporaire totale correspond à son immobilisation au cours de la deuxième grossesse

· l'incapacité permanente partielle est de 20 %

· le pretium doloris est évalué à 5/7 Sur la base de ces conclusions et au vu des pièces produites aux débats, le préjudice subi par A. ... épouse ... doit être indemnisé comme suit

1/ PRÉJUDICE SOUMIS A RECOURS, - au titre de l'ITT

A. ... épouse ... a du interrompre toutes ses activités pendant sa deuxième grossesse. Elle n'exerçait alors aucune activité? salariée et ne subit donc aucun préjudice économique.'

Pendant la période d'incapacité temporaire totale inférieure à 90 jours, A. ... épouse ... n'a pas été en mesure de se livrer à ses activités habituelles. Elle a subi un préjudice du fait de la perte des joies habituelles de la vie courante et de l'impossibilité de se livrer à ses activités habituelles puisqu'elle a du rester alitée dès le début de sa grossesse.

Le tribunal lui a justement alloué la somme de 2.000 euros.

- au titre de L'IPP

Les experts ..., ... et ... ont retenu, un taux de 20 %.

Les experts ont relevé que A. ... épouse ... présente une hypoplasie utérine de type A. de ... qui est la cause des accidents gravidiques de grossesse.

Elle soutient que les experts, dans d'autres rapports d'expertise postérieurs, ont retenu pour des séquelles identiques un taux de 25 % . Toutefois, la lecture du rapport concernant une autre patiente révèle que les anomalies morphologiques ne sont pas identiques même si elles ont également pour conséquence la nécessité pour la jeune femme de renoncer à toute nouvelle grossesse.

C'est à juste titre que le tribunal a retenu le taux de 20 % proposé par les experts dans leur rapport du 5 novembre 2004.

Les experts n'ont pas retenu d'incidence professionnelle. Anne-Françoise-LOF invoque un retentissement professionnel résultant de la nécessité de consacrer tout son temps à l'éducation de sa fille compte tenu de sa très grande prématurité et de ses difficultés actuelles alors qu'elle a un projet professionnel pour devenir psychothérapeute.

Sans contester les complications incontestablement rencontrées par cette jeune femme confrontée à la très grande prématurité de son nouveau-né avec ses conséquences sur le développement de l'enfant, la cour ne peut faire droit à sa demande de ce chef dans la mesure où elle ne justifie pas avoir du abandonner une activité professionnelle ou une formation. Elle ne verse aucune pièce à l'appui de sa demande.

L'IPP sera justement indemnisée à hauteur de 40.000 euros à partir d'une valeur du point de 2.000 euros.

Le préjudice soumis à recours des organismes sociaux s'élève à la somme de 42.000 euros.

2/ PRÉJUDICE A CARACTÈRE PERSONNEL - au titre du préjudice spécifique de contamination

Se fondant sur la jurisprudence relative à l'indemnisation des transfusés contaminés par le virus du SIDA ou de l'hépatite C qui a dégagé un nouveau concept de préjudice, le préjudice spécifique de contamination, A. ... épouse ... sollicite' l'indemnisation d'un préjudice spécifique d'exposition in utero au DES incluant les souffrances morales éprorniées à la suite des traitements nécessaires mais également"' angoisse d'une récidive qui n'est jamais exciue et les souffrances quotidiennes au plan affectif et moral
Sans aucunement méconnaître la souffrance morale de Aime-Françoise DURAND épouse LOF, dont la vie a été bouleversée dès qu'elle a souhaité avec son époux mettre au monde des enfants pour créer leur famille, alors qu'elle pouvait tout naturellement, comme les autres jeunes femmes, espérer mener une existence harmonieuse et heureuse et avoir là joie de donner la vie selon ses souhaits, il n'apparaît pas que l'indemnisation de ce préjudice justifie le recours à la notion de préjudice spécifique.

En effet, le préjudice spécifique de contamination se définit comme le préjudice résultant pour une victime de la connaissance de sa contamination par un agent exogène, qu'il soit biologique, physique ou chimique, qui comporte le risque d'apparition à plus ou moins brève échéance d'une pathologie mettant en jeu le pronostic vital. C'est ainsi qu'il a été retenu par la jurisprudence notamment pour les victimes transfusées contaminées par le virus du SIDA. Il inclut, dès la phase de séropositivité, tous les troubles psychiques subis du fait de la contamination (réduction de l'espérance de vie, incertitude quant à l'avenir, crainte d'éventuelles souffrances physiques et morales, isolement, perturbations de la vie familiale et sociale, préjudice sexuel et de procréation) mais également les différents préjudices personnels apparus ou susceptibles d'apparaître comme les souffrances endurées, le préjudice esthétique et, le préjudice d'agrément. Le préjudice spécifique de contamination regroupe en réalité l'ensemble des préjudices d'ordre physiologique, psychologique et moral et permet d'indemniser l'entier préjudice des victimes qui sont menacées par une maladie grave mais dont les effets se développeront au terme d'une période dont la durée, qui peut être très longue, est au départ indéterminée.

Le préjudice spécifique de contamination tend à prendre en compte des dommages particuliers comme la réduction de l'espérance de vie avec les angoisses liées -à une mort quasiment programmée, les perturbations affectives, familiales et sociales dans les conditions d'existence de la victime ainsi que le caractère essentiellement évolutif des dommages qui ne peuvent être indemnisés selon l'évaluation de droit commun qui suppose un dommage avéré et un état de consolidation.

Or en l'espèce, les anomalies morphologiques dont souffre A. ... épouse ... sont connues et vont pas inexorablement évoluer.

Par ailleurs, tous les enfants exposés in utero au DES n'ont pas été atteints de maladie ou de malformations. Il n'existe donc pas un préjudice résultant du seul fait de l'exposition au DES. Les effets néfastes de ce médicament ne sont apparus que chez certaines personnes et sont très divers dans leurs manifestations de sorte qu'on ne peut retenir la notion générale d'exposition au distilbène pour justifier une indemnisation qui ne peut concerner que celles qui sont effectivement victimes de pathologies ou de malformations.

Les différents préjudices subis par A. ... épouse ... peuvent être indemnisés selon les critères habituels en matière de réparation-dû préjudice corporel be qu'elle ne conteste d'ailleurs pas puisqu'elle sollicite, outre la réparation de ce préjudice spécifique d'exposition in utero, celle des préjudices personnels couramment retenus.

En réalité sous le terme de préjudice spécifique d'exposition in utero, A. ... épouse ... sollicite la réparation de son préjudice moral, lequel est incontestable et peut être indemnisé au titre du préjudice de la douleur.

au titre du préjudice de la douleur physique et de la souffrance morale . tes experts ont fixé le pretium doloris à 5/7.

Au titre des douleurs physiques, A. ... épouse ... a subi deux grossesses difficiles avec des douleurs abdominales et un accouchement en "coup de cano,n".

A ces douleurs physiques s'ajoutent des souffrances morales qui sont la conséquence directe de l'exposition in utero au DES.

En effet, A. ... épouse ... après avoir mis au monde une petite fille née non viable dont le deuil fut particulièrement douloureux, a vécu sa deuxième grossesse dans l'angoisse de la perte de cet enfant puis dans l' angoisse de la mort du nouveau-né qui ne pesait que 700 grammes à la naissance et dont le pronostic vital ne pouvait qu'être très réservé.

Ce préjudice sera indemnisé par l'octroi de la somme de 30.000 euros. - au titre du préjudice de procréation

A. ... épouse ... présente des anomalies de la morphologie utérine qui ont des conséquences dommageables sur sa fécondité en raison des risques de complications gravidiques sévères. Elle est contrainte de renoncer à toute nouvelle procréation alors que le couple souhaitait accueillir plusieurs enfants.

S'agissant d'une jeune femme, ce préjudice sera indemnisé à hauteur de 20.000 euros.

- Sur les demandes de A. ... au titre de son préjudice moral par ricochet

A. ..., mère de A. ... épouse ..., sollicite la réparation de son préjudice moral d'affection, confrontée à la souffrance de sa fille et aux incertitudes sur l'évolution de sa petite-fille Dorianne.

Il s'agit là d'une demande qui ne peut être fondée que sur les articles 1382 et 1383 du code civil bien qu'aucun fondement juridique ne soit précisé dans les dernières conclusions.

Il n'est pas contestable que la mère de A. ... épouse ..., qui accompagne, soutient, aide sa fille dans la douloureuse épreuve qui est la sienne, subit un préjudice moral par ricochet dont la société UCB PHARMA ne conteste d'ailleurs pas l'existence.

Ce préjudice sera justement indemnisé par l'octroi de la somme de 2.000 euros. - Sur la demande de A. ... au titre de son préjudice moral propre

A. ... soutient qu'elle a été le vecteur d'un dommage corporel grave sur sa propre descendance, qu'elle a été en lien avec le fabricant UCB PHARMA lequel est contractuellement débiteur d'une obligation de sécurité de résultat à son égard. Elle ne précise toutefois pas le fondement juridique de sa demande au titre de son préjudice moral propre.

Sa demande est recevable stir le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle de la société UCB PHARMA.

Il ne peut être contesté que A. ... subit un préjudice moral personnel certain puisqu'elle porte, comme elle l'indique dans ses écritures, le poids d'une terrible culpabilisation consistant à avoir absorbé au cours de la grossesse un médicament, qui devait l'aider à donner la vie, lequel s'est révélé. 30 ans plus tard comme la cause d'une anomalie morphologique grave compromettant les possibilités de procréation de sa fille.

Ce préjudice sera réparé par l'octroi d'une somme de 2.000 euros. - Sur la demande de A. ... au titre de son préjudice moral par ricochet

A. ..., époux de A. ... épouse LOF, sollicite la réparation de son préjudice moral conséquence d'une vie de couple où les désirs d'enfants se sont soldés par le décès du premier enfant, la naissance très prématurée de Dorianne et le certitude douloureuse de n'avoir qu'un seul enfant.

Il s'agit là d'une demande qui ne peut être fondée que sur les articles 1382 et 1383 du code civil bien qu'aucun fondement juridique ne soit précisé dans les dernières conclusions.

Il n'est pas contestable que A. ... subit un préjudice moral important car il a du faire le deuil d'un enfant mort-né, vivre dans l'angoisse d'une nouvelle naissance prématurée puis d'une éventuelle aggravation de l'état de santé de sa fille unique. Malgré son désir de fonder une famille nombreuse, il ne peut espérer la naissance d'autres enfants.

Ce préjudice sera justement indemnisé par l'octroi de la somme de 8.000 euros. - Sur la demande d'expertise concernant D. ...

Les experts ont noté que D. ..., née le 22 mai 1997, présente quelques problèmes séquellaires de sa prématurité notamment une rétinopathie sévère, quelques difficultés motrices qui la gênent lors des activités physiques ou jeux qui sont la conséquence directe de la malformation dont souffre sa mère.

Les époux ... justifient par ailleurs que Dorianne rencontre des difficultés au plan scolaire bien qu'elle soit d'intelligence normale et a besoin de soins adaptés.

Il convient dès lors de faire droit à leur demande d'expertise médicale, par infirmation de ce chef du jugement déféré.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire, en dernier ressort,

T.

Constate que la société UCB PHARMA a abandonné sa demande de nullité du rapport d'expertise,

Déboute les consorts ... de leur demande en dommages-intérêts pour abus du droit d'agir en exception de nullité du rapport d'expertise,

Confirme le jugement déféré en ce qu'il a retenu la responsabilité de la société UCB PHARMA et a alloué, aux consorts ... une indeninité sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure Civile,

Infirme le jugement déféré sur le quantum des sommes allouées, Statuant à nouveau, Fixe l'indemnité due à A. ... épouse ... comme suit

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1) Préjudice soumis à recours

- ITT (troubles dans la vie courante)

- IPP 20 % Total

2) Préjudice personnel

- préjudice de la douleur physique et de la souffrance morale

- préjudice sexuel

- Total

2 000,00 euros 40.000,00 euros 42.000,00 euros 30.000,00 euros 20.000,00 euros 50.000,00 euros

Dit n'y avoir lieu à fixation d'un préjudice spécifique d'exposition in utero au DES,

Condamne la société UCB PHARMA à payer à A. ... épouse ... la somme de 92.000 euros en réparation de son préjudice corporel,

Condamne la société UCB PHARMA à payer à A. ... la somme de 2.000 euros en réparation de son préjudice moral personnel et la somme de 2.000 euros en réparation de son préjudice moral par ricochet,

Condamne la société UCB PHARMA à payer à A. ... la somme de 8.000 euros en réparation de son préjudice moral,

Ordonne une mesure d'expertise sur l'enfant D. ... et commet pour y procéder, Docteur J. ... - Hôpital de Mantes - MANTES LA JOLIE (Tél. 01.34.97.40.90) et le Professeur O. ... - ... ... J. NANTES CEDEX 01 (Tél. xx xx xx xx xx et 02.40.84.62.46), avec pour mission de

- convoquer les parties par lettre recommandée avec accusé de réception, - examiner l'enfant D. ...,

- dire si les handicaps dont souffre l'enfant né le 22 mai 1997 est en lien probable avec l'exposition au DES de sa mère,

- décrire son état de santé actuel et l'évolution de ses séquelles,

-dire qu'elles- ont été les conséquences pour l'enfant Dorianne LOF (ITT, ITP, IPP, pretium doloris, préjudice d'agrément, préjudice esthétique),

- fournir à la Cour tous renseignements utiles sur l'évolution de la maladie relativement à la possibilité d'une éventuelle consolidation définitive ou à l'inverse d'un pronostic défavorable avec dans ce dernier cas l'incidence d'un préjudice moral lié à la stérilité définitive et l'angoisse d'une rechute,

- chiffrer par référence au barème indicatif des déficits fonctionnels séquellaires en droit commun le taux d'incapacité permanente partielle,

- dire si des soins postérieurs à la consolidation sont nécessaires, en indiquer la nature, la quantité, la nécessité éventuelle de leur renouvellement et sa périodicité,

- décrire les souffrances physiques, psychiques ou morales endurées du fait de la pathologie subie en y incluant les éventuels troubles ou douleurs postérieurs à la consolidation dans la mesure où ils n'entraînent pas le déficit fonctionnel proprement dit, les évaluer selon l'échelle habituelle de 7 degrés,

- donner un avis sur l'existence, la nature et l'importance des préjudices esthétique et psychologique, les évaluer son l'échelle habituelle de 7 degrés, indépendamment de l'éventuelle atteinte fonctionnelle prise en compte au titre du déficit,

- lorsque la victime allègue l'impossibilité de se livrer à des activités spécifiques de loisirs, donner un avis médical sur cette impossibilité et son caractère définitif, sans prendre' position sur l'existence ou non d'un préjudice afférent à cette allégation,

- dire que lors de la première ou au plus tard de la deuxième réunion des parties, l'expert dressera un programme de ses investigations et évaluera d'une manière aussi précise que possible le montant prévisible de ses honoraires et débours,

- dire qu'à l'issue de cette réunion, l'expert fera connaître au magistrat chargé des opérations d'expertise la somme globale qui lui paraît nécessaire pour garantir en totalité le règlement de ses honoraires et de ses débours et solliciter, le cas échéant, le versement d'une consignation complémentaire,

- dire que l'expert pourra s'il le juge nécessaire se faire assister de sapiteurs d'une autre spécialité que la sienne,

- désigner tel magistrat chargé de la mise en état pour contrôler l'expertise ordonnée,

- dire que l'expert ou le collège d'experts devra déposer un pré-rapport dans un délai de six semaines,

- dire que l'expert ou le collège d'experts devra déposer au greffe le rapport de ses opérations dans un délai de quatre mois à compter de la saisine par le greffe des expertises de la Cour d'Appel de Versailles, sauf prorogation dûment sollicitée et qu'il en délivrera lui-même copie àchacune des parties en cause et un second original à la,Cour,

- dire qu'en cas d'empêchement, refus ou négligence, l'expert corrimis pourra être remplacé par ordonnance rendue sur simple requête présentée,

Dit que la société UCB PHARMA devra consigner avant le 15 février 2007 la somme de .1.000 euros à valoir sur la rémunération de l'expert au greffe de la cour d'appel de Versailles,

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Condamne la société UCB PHARMA à payer aux consorts ... la somme de 7.000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile pour la procédure d'appel,

Condamne la société UCB PHARMA aux dépens de première instance et d'appel, incluant les frais d'expertise avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP TUSET CHOUTEAU, avoués, conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau code de procédure civile.

- signé par Madame B. ..., président et par Madame ..., greffier, auquel le magistrat signataire a rendu la minute.

Le GREFFIER,

Le PRÉSIDENT,

tdef-2--7








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