RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
LE VINGT ET UN DÉCEMBRE DEUX MILLE SIX,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre Code nac 63A 5ème chambre ARRÊT N- 63? PAR DÉFAUT
1/ Mademoiselle V. ... Tilbury g-t'a0t ces annotes de Ore%
3342171 NH SASSENHEIM de la Cour d'Appel de Versailles
(PAYS BAS)
DU 21 DÉCEMBRE 2006 2/ Madame A. L. M. ... épouse ... 3/ Monsieur F. G. M. ...
R.G.
LE FRECHE AFFAIRE représentés par la SCP TUSET-CHOUTEAU, avoués - N° du dossier
20050388
plaidant par Me VERDIER, avocat au barreau d'ORLÉANS
Consorts ... ... et ...
SA UCB PHARMA 1/ SA UCB PHARMA
NANTERRE
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette
Décision déférée à la qualité audit siège
cour Jugement
rendu(e) le 10 Juin représentée par la SCP KEIME GUTTIN JARRY, avoués - N° du 2005 par le Tribunal dossier 05000800 de Grande Instance de plaidant par le cabinet BOPS, avocats au barreau de PARIS (P.555) NANTERRE
N° Chambre 1 INTIMÉE et APPELANTE N° Section B
RG 12306/00 2/ VANBREDA ET CO INTERNATIONAL
Plantin En Moretuslei 299 Expéditions 2140 ANVERS exécutoires (PAYS BAS)
- Expéditions prise en la personne de ses-représentants légaux domiciliés--en cette Copies qualité audit siège
délivrées le
à rire., INTIMÉE DEFAILLANTE
Lu 2006
****************
Composition de la cour
En application des dispositions de l'article 786 du nouveau code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 01 Décembre 2006 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant
Mme WALLON, président chargé du rapport. '
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de
Madame Bernadette WALLON, président,
Monsieur M. ...,
Madame Marie-Claude CALOT, conseiller,
Greffier, lors des débats Madame Marie-Claire THEODOSE SaP TL1Ger C;-loter cou
SCP Zinc G Lins ti À inifs g
V. ..., née le ..... à Verson (Eure), a été exposée in utero au distilbène, médicament prescrit à sa mère pendant la grossesse et commercialisé par le laboratoire UCEPHA devenu UCB PHARMA.
En raison de règles irrégulières et douloureuses, V. ... a été hospitalisée aux Pays-Bas en octobre 1988 et les médecins ont diagnostiqué un adénocarcinome à cellules claires.
Elle a subi le 6 novembre 1988 une intervention chirurgicale consistant en une hystérectomie radicale avec colpectomie partielle ; les ovaires ont été sauvegardés. L' intervention ne sera complétée ni par une chimiothérapie ni par une radiothérapie.
Peu après l'intervention, un oedème lymphatique s'est développé dans le membre inférieur gauche, conséquence de l'acte opératoire qui a comporté une dissection et un curage ganglionnaire sur l'axe illio-veineux gauche.
V. ... a été soumise à des traitements symptomatiques avec drainages lymphatiques, massages, port de bas de contention et une intervention chirurgicale sous anesthésie loco-régionales fut pratiquée en juin 1995 pour rétablir une anastomose lympho-veineuse qui se révéla peu efficace. Aucun autre traitement médical ou chirurgical n'a pu éradiquer cette infiltration.
Considérant que l'adénocarcinome à cellules claires dont elle est atteinte est la conséquence directe de son exposition in utero au distilbène prescrit à sa mère, elle a saisi le tribunal de grande instance de Nanterre par acte du 2 avril 1991.
Par décision du 14 septembre 1994, cette juridiction, statuant avant dire droit, a ordonné une mesure d'expertise. Les experts ont déposé un pré-rapport en mai 1997 puis leur rapport définitif en février 1999.
V. ... a engagé une nouvelle instance à l'encontre de la société UCB PHARMA par assignation du 9 août 2000.
Par jugement du 14 novembre 2003, le tribunal de grande instance de Nanterre a déclaré-la société UCB PHARIVIÀ responsable du préjudice subi par V. ... et, avant dire droit sur la détermination de son préjudice, a ordonné une mesure d'expertise confiée au professeur ... qui s'est adjoint un sapiteur en la personne du docteur ..., médecin gynécologue.
Statuant sur l'appel interjeté contre cette décision, la cour d'appel de Versailles, par arrêt du 16 septembre 2005, a confirmé le jugement déféré en Mutes ses dispositions. La société UCB PHARMA s'est pourvue en cassation.
' A la suite du dépôt du rapport d' expertise par le professeur ... le 5 novembre
20404, l'instance relative à la liquidation du préjudice de V. ... s'est poursuivie et les époux ..., ses parents, sont intervenus volontairement aux débats par conclusions signifiées le 4 avril 2005.
Par jugement du 10 juin 2005, le tribunal de grande instance de Nanterre a
-2-
- constaté la non intervention volontaire de l'organisme VANBREDA INTERNATIONAL, organisme social privé de droit néerlandais
- condamné la société UCB PHARMA à payer à V. ..., la somme de 137.700 euros en réparation de ses préjudices corporels après déduction de la provision versée
- condamné la société UCB PHARMA à payer à A. ... épouse ..., la somme de 6.000 euros en réparation de son préjudice moral par ricochet
- condamné la société UCB PHARMA à payer à G. ..., la somme de 2.000 euros en réparation de son préjudice moral par ricochet
- condamné la société UCB PHARMA à payer aux époux ..., la somme de 4.506,08 euros en réparation de leur préjudice matériel
- condamné la société UCB PHARMA à payer aux consorts ... la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile
- ordonné l'exécution prov soire -
- condamné la société UCB PHARMA aux dépens comprenant les frais d'expertise.
Les consorts ... ont interjeté appel de cette décision le 30 août 2005. La société UCB PHARMA a interjeté appel de cette décision le 18 novembre 2005. Les deux procédures ont été jointes par ordonnance du 9 décembre 2005.
Aux termes de leurs dernières conclusions signifiées le 29 novembre 2006 auxquelles il est expressément renvoyé pour plus ample exposé, V. ..., et les époux ... demandent à la cour de
- infirmer le jugement déféré
- statuant à nouveau
- condamner la société UCB PHARMA à payer à V. ... les sommes suivantes en réparation de son entier préjudice 1. ITT 5.250,00 euros
· 2. IPP 165.000,00 euros
· 3. préjudice de la douleur 20.000,00 euros 4. préjudiçe esthétique 6.000,00 euros
5. préjudice d'agrément . ' 25.000,00 euros' . .
6. Préjudice sexuel 40.000,00 euros
(mentionné dans les motifs mais omis dans le dispositif des conclusions)
7. préjudice spécifique 185.000,00 euros
- condamner la société UCB PHARMA au paiement des sommes suivantes en réparation de l'entier préjudice moral de A. ...
préjudice moral propre 10.000,00 euros préjudice d'affection par ricochet 5.000,00 euros
- condamner la société UCB PHARMA à payer à G. ... la somme de 5.000 euros en réparation de son préjudice moral
- condamner la société UCB PHARMA à payer aux époux ... la somme de 4.506,08 euros avec intérêts au taux légal à compter du 4 avril 2005 sur le fondement de l'article 1153 du
code civil
- condamner la société UCB PHARMA au paiement de la somme de 9.500 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile comprenant notamment les déplacements et l'assistance aux opérations d'expertise àNantes
- condamner la société UCB PHARMA aux entiers dépens comprenant les frais d'expertise avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP TUSET CHOUTEAU, avoués, conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.
Auxtermes de ses dernières conclusions signifiées le 30 novembre 2006 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé, la société UCB PHARMA demande à la cour de
- sur les demandes de V. ...
. sur les préjudices économiques
- débouter V. ... de sa demande au titre de PITT faute de justificatif démontrant une perte de revenu
- dire et juger que le taux de 45% doit être retenu au titre de l'IPP et allouer de ce chef la somme de 101.250 euros compte tenu des montants habituellement accordés par la jurisprudence
. sur les préjudices personnels
- vu l'article 31 de la loi du 5 juillet 1985
- dire et juger que lanobon de préjudice spécifique de contamination n'a pas lieu d'êtretrans- posée en l'espèce
- en conséquence
- infirmer le jugement déféré en ce qu'il a alloué une indemnité au titre d'un préjudice spécifique
-Aire et juger que l'évaluation des préjudices de V. ... devra se faire au regard des chefs de préjtidice définis à l'article 31 de la loi du 5 juillet 1985 soit le pretium doloris. évalué à 4,5/7 recouvrant tant lés souffrances physiques que les souffrances psychiques ou morales, sera indemnisé par une somme qui ne saurait excéder 12.000 euros le préjudice esthétique évalué à 2/7 ne saurait excéder 3.700 euros,
- le préjudice d'agrément recouvrant tant la perturbation dans la continuité des activités ludiques et sportives ne saurait excéder 6.000 euros
- sur la demande de G. ...
- vu les articles 2270-1 du code civil et 1382 du code civil
- dire et juger que le point de départ de la prescription de l'action en responsabilité délictuelle doit être fixé, compte tenu des faits de l'espèce, à novembre 1988
- dire et juger qu'aucun acte interruptif ou suspensif de prescription n'est intervenu avant l'expiration en novembre 1988 du délai de la prescription
- dire et juger que l'action en responsabilité délictuelle introduite le 4 avril 2005 est prescrite
- en conséquence déclarer irrecevables les demandes de G. ... à son encontre et l'en débouter
- sur la demande de A. ...
- vu les articles 2270-1 du code civil et 1382 du code civil, R 124-42 du code de la santé publique
- dire et juger que le point de départ de la prescription de l'action en responsabilité délictuelle doit être fixé, compte tenu des faits de l'espèce, à novembre 1988
- dire et juger qu'aucun acte interruptif ou suspensif de prescription n'est intervenu avant l'expiration en mivembre 1988 du délai de la prescription
- dire et juger que l'action en responsabilité délictuelle introduite le 4 avril 2005 est prescrite
- en conséquence déclarer irrecevables les demandes de A. ... à son encontre et l'en débouter
- subsidiairement, vu l'article 2262 du code civil
- dire et juger que l'impossibilité d'agir a cessé en 1991
- dire et juger qu'à cette date la prescription trentenaire n'était pas expirée et que A. ... devait agir avant 1997
- dire et juger qu'aucun acte interruptif ou suspensif de prescription n'est intervenu avant cette date de sorte que l'action en responsàbilité contractuelle introduite le 4 avril 2005 est prescrite
- dire et juger irrecevables les demandes d'A. ... et l'en débouter
- à titre plus subsidiaire
- dire et juger que l'indemnité allouée à G. ... en réparation de son préjudice moral ne saurait excéder 2.000 euros
- dire et juger que les préjudices invoqués par A. ... constituent en réalité un seul et même préjudice moral et lui allouer de ce chef une somme qui ne saurait excéder 4.000 euros
- sur la préjudice matériel
- dire et juger que les frais de traduction assermentée de documents destinés à être communiqués dans le cadre d'une procédure judiciaire constituent des frais irrépétibles dire et juger qu'ils ont été engagés dans le cadre d'une procédure distincte de la présente instance - dire et juger la demande au titre du préjudice matériel à hauteur de 4.506,08 euros irrecevable - débouter les époux ... de cette demande
- débouter les époux ... de leurs autres demandes.
La société VANBREDA &CO INTERNATIONAL régulièrement assignée le 3 avril 2006 n'a pas constituée avoué mais a déclaré par courrier du 2 mai 2006 n'avoir aucune créance à faire valoir.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 30 novembre 2006.
MOTIFS
- SUR LES DEMANDES DE V. ...
Il résulte du rapport des experts judiciaires, lé professeur ... et le docteur ..., dont les conclusions seront retenues par la cour dans la mesure où elles procèdent d'une analyse complète, claire et minutieuse et ne sont remises en cause par aucune pièce médicale contraire que
V. ..., exposée in utero au distilbène pris par sa mère, âgée de 21 ans, a présenté un adénocarcinome à cellules claires qui a nécessité une intervention chirurgicale consistant en une hystérectomie totale avec une colpectomie partielle, les ovaires étant_ conserves ; l'intervention n'a été complétée ni par une chimiothérapie ni par une radiothérapie ; l'acte opératoire qui a comporté manifestement une dissection et un curage ganglionnaire sur l'axe illio-veineux gauche est à l'origine d'un lymphoedème c'est à dire untralentissement de l'écoulement de la lymphe au niveau du membre inférieur gauche ce qui a provoqué une augmentation progressive du volume de la jambe ; les différents traitements médicaux et chirurgicaux n'ont pas permis d'éradiquer cette infiltration ; l'affection cancéreuse dont V. ... est atteinte peut être considérée comme guérie avec un recul de plus de 15 ans l'incapacité temporaire totale s'est étendue du r novembre 1988 au 31 janvier 1989 puis du 7 'juin 1995 au 22 1995 la consolidation a été acquise 25 février 2004 avec des soins d'entretien concernant les problèmes lymphatiques résiduels ; il n'y a pas de nécessité d'un traitement hormonal substitutif l'incapacité permanente partielle est de 45 %
le pretium doloris est évalué à 4,5/7 le préjudice esthétique est évalué à 2,5/7 il existe un préjudice d'agrément consistant en une perturbation des activités ludiques ou sportives mais lapatiente conserve une activité sportive modérée il n'y a pas de préjudice professionnel.
Sur la base de ces conclusions et au vu des pièces produites aux débats, le préjudice subi par V. ... doit être indemnisé comme suit
I/ PRÉJUDICE SOUMIS A RECOURS
- frais médicaux et assimilés
La société VANBREDA IN 1 ERNATIONAL a fait savoir que, faute d'archives, elle n'était pas en mesure de faire valoir sa créance.
- au titre de l'ITT
V. ..., pendant la période d'incapacité temporaire totale de trois mois et quinze jours, n'a pas été en mesure de se livrer à ses activités habituelles. Elle a subi un préjudice du fait de la perte des joies habituelles de la vie courante puisqu'elle a du être hospitalisée à deux reprises puis restreindre ses activités pendant la convalescence.
Il convient de lui allouer de ce chef la somme de 3.000 euros. - au titre de L'IPP
Les experts ... et ... ont retenu un taux de 45 % alors que le premier collège expertal avait fixé le taux d'IPP à 50 % en 1996.
Toutefois, il convient de relever, comme l'a exactement fait le premier juge, que le premier collège expertal a inclus dans le taux d'IPP non seulement le préjudice fonctionnel mais égàleme-ril le prétium doloris et le préjudice d'agrément, ne fixant un taux p-artic- tiller que pour le préjudice esthétique qu'il évaluait alors à 2/7 alors que les experts désignés en 2004 ont retenu un taux de 2,5/7 pour ce préjudice.
Dès lors, en évaluant le taux de déficit fonctionnel séquellaire à 45 %, les experts ... et ... ont bien pris en compte l'évolution défavorable de l'état de V. ... au regard des problèmes lymphatiques qui se Sont effectivement aggravés entre 1996 et 2004.
Il convient en conséquencé de retenir le ta de 45% pour évaluer le préjudice subi au titre du préjudice. fonctionnel permanent.
Les experts ont relevé que V. ... a subi une hystérectomie totale, qu'il y a eu conservation des ovaires de sorte qu'elle n'est pas ménopausée e n'a pas besoin d'un traitement hormonal substitutif, qu'en l'absence d'irradiation, rien ne permet de penser que ses ovaires ont été soumis à un déclin fonctionnelque l'affection cancéreuse dont elle était atteinte
peut être considérée comme guérie avec un recul de plus de 15 ans, qu'elle est privée de toute possibilité de grossesse, que les perturbations lymphatiques importantes constituent indiscutablement une gêne au quotidien.
Ce préjudice sera justement indemnisé à hauteur de 135.000 euros à partir d'une valeur du point de 3.000 euros.
Le préjudice soumis à recours des organismes sociaux s'élève à la somme de 138.000 euros.
2/ PRÉJUDICE A CARACTÈRE PERSONNEL
- au titre du préjudice spécifique de contamination
. Se fondant sur la jurisprudence relative à l'indemnisation des transfusés contaminés par le virus du SIDA ou de l'hépatite C qui a dégagé un nouveau concept de préjudice, le préjudice spécifique de contamination, V. ... sollicite l'indemnisation d'un préjudice spécifique d'exposition in utero au DES incluant les souffrances morales éprouvées à la suite des traitements nécessaires mais également Eangoisse d'une récidive qui n'est jamais exclue et les souffrances quotidiennes au plan affectif et moral.
Sans aucunement méconnaître la souffrance morale, quotidiennement ressentie, de V. ... dont la vie est bouleversée depuis l'âge de 21 ans suite à l'exposition in utero au DES alors qu'elle pouvait tout naturellement, comme les autres jeunes femmes, espérer mener une existence harmonieuse et heureuse et avoir la joie de donner la vie, il n'apparaît pas que l'indemnisation de ce préjudice justifie le recours à la notion de préjudice spécifique.
En effet, le préjudice spécifique de contamination se définit comme le préjudice résultant pour une victime de la connaissance de sa contamination par un agent exogène, qu'il soit biologique, physique ou chimique, qui comporte le risque d'apparition à plus ou moins brève échéance d'une pathologie mettant en jeu le pronostic vital. C'est ainsi qu'il a été retenu par la jurisprudence notamment pour les victimes transfusées contaminées par le virus du SIDA. Il inclut, dès la phase de séropositivité, tous les troubles psychiques subis du fait de la contamination (réduction de l'espérance de vie, incertitude quant à l'avenir, crainte d'éventuelles souffrances
_,_--physiques et morales, isolement, perturbations de la vie familiale et sociale, préjudice sexuel et de procréation) mais également les différents préjudices personnels apparus ou susceptibles d'apparaître comme les souffrances endurées, le préjudice esthétique et le préjudice d'agrément. Le préjudice spécifique de contamination regroupe en réalité l'ensemble des préjudices d'ordre physiologique, psychologique et moral et permet d'indemniser l'entier préjudice des victimes qui sont menacées par une maladie grave mais dont les effets se développeront au terme d'une période dont la durée, qui peut être très longue, est au départ indéterminée.
Le préjudice spécifique de contamination teud à prendre en compte des dommages particuliers comtrie la réduction de l'espérance de vie avec les angoisses liées à une mort quasiment programmée, les perturbatiods affectives, familiales et sociales danS lés conditions d'existence de la victime ainsi que le caractère essentiellement évolutif des dommages qui ne peuvent être indemnisés selon l'évaluation de droit commun qui suppose un dommage avéré et un état de consolidation.
()T'en l'espèce, la maladie dont souffre V. ... est déclarée, les soins nécessaires ont été prodigués et l'affection cancéreuse est considérée comme guérie par les
médecins qui ont pu fixer une date de consolidation.
Par ailleurs, tous les enfants exposés in utero au DES n'ont pas été atteints de maladie ou de malformations. Il n'existe donc pas un préjudice résultant du seul fait de l'exposition au DES. Les effets néfastes de ce médicament ne sont apparus que chez certaines personnes et sont très divers dans leurs manifestations de sorte qu'on ne peut retenir la notion générale d'exposition au distilbène pour justifier une indemnisation qui ne peut concerner que celles qui sont effectivement victimes de pathologies ou de malformations.
Les différents préjudices subis par V. ... peuvent être indemnisés selon les critères habituels en matière de réparation du préjudice corporel ce qu'elle ne conteste d'ailleurs pas puisqu'elle sollicite, outre la réparation de ce préjudice spécifique d'exposition in utero, celle des préjudices personnels couramment retenus.
En réalité sous le terme de préjudice spécifique d'exposition in utero, V. ... sollicite la réparation de son préjudice moral, lequel est incontestable et peut être indemnisé au titre du préjudice de la douleur.
- au titre du préjudice de la douleur phvsique et de la souffrance morale
Les experts ont fixé le pretium doloris à 4,5/7.
Au titre des douleurs physiques, V. ... a subi une hystérectomie radicale avec une colpectomie partielle. Dans les suites immédiates de l'intervention chirurgicale, elle a été ré-hospitalisée en raison de fortes douleurs de la région lombaire gauche qui ont nécessité des explorations et l'administration d'analgésiques associant des morphinomimétiques et spasmolytiques'. Elle a été examinée à 35 reprises en consultations externes au centre médical de Leiden.
En 1990 est apparu un gonflement de la jambe gauche qui a justifié une lympho-scintigraphie ; cet examen a mis en évidence une obstruction partielle du drainage lymphatique à hauteur de l'aine gauche qui fut traitée par un geste chirurgical le 7 juin 1995 pour mise en place de deux shunts lympho-veineux. Elle a également bénéficié de massages et du port d'un bas de contention. Toutefois aucun traitement n'a permis de réduire cet oedème lymphatique.
Les experts ont releVé--un-e-iiffilt-ritio-nglobaledi Meiribie inférieur gauche qui a - - - toutes les caractéristiques d'un lymphoedème s'étendant sur la face dorsale du pied. Les doléances de la victime portent essentiellement sur cet oedème qui a tendance à s'agrandir.
A ces douleurs physiques s'ajoutent des souffrances morales qui sont la conséquence directe de l'exposition in utero au DES.
En effet, à l'âge de 21 ans, V. ... a du subir une intervention chirurgicale invalidante compromettant définitivement toute possibilité de mener une vie de femme normale. Elle a été contrainte d'accepter pendant plusieurs aimées des examens médicaux nombreux ponant atteinte à son intimité qui ne sont pas imposés normalement à une jeune femme. Au lieu de vivre sa jeunesse avec insouciance et construire son existence sereinement, elle a du se battre contre une affection cancéreuse qui pouvait s'aggraver jusqu'à une issue fatale jusqu'à ce qu'un diagnostic de guérison soit posé. Les difficultés importantes qu'elle a rencontré, ont nécessité une,prise en charge au plan psychologique avec mise en place d'un soutien psychothérapique de 1990 à 1995.
Encore actuellement, elle doit vivre avec un corps mutilé, abîmé, qui rend difficile toute vie sociale.
Ce préjudice sera indemnisé par l'octroi de la somme de 40.000 euros.
- au titre du préjudice esthétique
Les experts ont retenu un taux de 2,5/7 au titre du préjudice esthétique.
Ils ont relevé outre l'infiltration globale du membre inférieur gauche très gênante sur le plan esthétique, des éléments cicatriciels au niveau de l'abdomen avec une cicatrice médiane, ombilico-pubienne et para-ombilicale de 21 centimètres.
Ce préjudice sera indemnisé par la somme de 5.000 euros.
- au titre du préjudice d'agrément
Le préjudice- d'agrément est le préjudice subjectif de caractère personnel résultant - des troubles ressentis dans les conditions d'existence. Il se rapporte à la diminution de tous les agréments de la vie et doit indemniser l'ensemble des troubles dans les actes essentiels de la vie courante, dans les activités affectives et familiales, dans les activités de loisirs.
S. V. ... a confirmé aux experts qu'elle continue quelques activités sportives et notamment la natation, il n'en demeure pas moins que ses conditions d'existence sont rendues difficiles notamment du fait de l'oedème du membre inférieur gauche cause de gênes, de lenteurs et de frustrations quotidiennes.
Ce préjudice sera indemnisé à hauteur de 15.000 euros.
- au titre dupréjudice sexuel et de procréation
V. ... ayant subi une hystérectomie totale est privée de toute possibilité de grossesse. Elle présente un état de stérilité.
Physiquement, les experts ont l'élevé que lés rapports sexuels sont possibles et aisés. Toutefois, ils ne lui apportent pas la satisfaction qu'elle pourrait légitimement espérer.
di- sera inderrmisé à hauteur de 40.000
Lie". 0 mu 4-L vn.j".
euros.
- SUR LES DEMANDES DE ANNE et. GUY LEVADOU AU TITRE DE LEUR PRÉJUDICE. MORAL PAR RICOCHET
Anne et G. ..., parents dé V. ..., sollicitent la réparation de leur préjudice moral d'affection, confrontés au quotidien à la souffrance de leur fille.
Il s'agit là d'une demande qui ne peut être fondée que sur les articles 1382 et 1383 du code civil bien qu'aucun fondement juridique ne soit précisé dans les dernières conclusions.
Aux termes de l'article 2270-1 du code civil, les actions en responsabilité civile extra-contractuelle se prescrivent par dix ans à compter de la manifestation du dommage, ou de son aggravation.
Pour l'action des proches de la victime en réparation de leur préjudice moral, la manifestation du dommage découle de la prise de conscience douloureuse de la perte définitive des facultés essentielles de la personne qui leur est chère.
La diagnostic de l'adénocarcinome à cellules claires dont leur fille a été atteinte a été posé en novembre 1988. L'intervention chirurgicale a été pratiquée très rapidement de sorte que dès la fin de l'année 1988, la manifestation du dommage était acquise.
Compte tenu de l'importance de l'affection dont leur fille était atteinte, il convient de considérer que les époux ... ont été dans l'impossibilité d'agir, se consacrant totalement à lui apporter le soutien et les soins dont elle avait besoin. Toutefois, cette impossibilité d'agir a pris fin lorsque V. ... a engagé la procédure à l'encontre de la société UCB PHARMA en 1991 pour obtenir réparation de son préjudice.
Alors qu'ils ont suivi de très près cette procédure, participant aux opérations d'expertise aux côtés de leur fille, ils ne sont intervenus à l'instance que par conclusions du 4 avril 2005 soit plus de dix ans après la manifestation du dommage ce qui rend leur demande en dommages-intérêts irrecevable. Ils ne proposent à la cour aucun moyen susceptible de faire échec à la prescription soulevée par la société UCB PHARMA.
Leur demande doit être déclarée irrecevable. Le jugement déféré sera infirmé de ce chef.
- SUR LA DEMANDE DE ANNE LEVADOU AU TITRE DE SON PRÉJUDICE MORAL PROPRE
A. ... soutient qu'elle a été le vecteur d'un dommage corporel grave sur sa propre descendance, qu'elle a été en lien avec le fabricant UCB PHARMA lequel est contractuellement débiteur d'une obligation de sécurité de résultat à son égard. Elle ne précise toutefois pas le fondement juridique de sa demande au titre de son préjudice moral propre .
A supposer que l'action de A. ... soit effectivement de nature contractuelle, elle est en tout cas prescrite plus de trente ans s'étant écoulés depuis la prise du médicament distilbène qui fut prescrit en 1967.
Si cette action est de nature délictuelle, elle est également prescrite pour les motifs sus indiqués.
Alors qu'il ne peut être contesté que A. ... subit un préjudice moral certain puisqu'elle porte, comme elle l'indique dans ses écritures, le poids d'une terrible' culpabilisation consistant à avoir ingéré au cours de la grossesse un médicament qui devait l'aider à donner la vie, lequel s'est révélé 21 ans plus tard comme la cause de la maladie grave diagnostiquée chez sa fille, ce préjudice ne peut être indemnisé par la cour car la demande est prescrite.
SUR LA DEMANDE AU TITRE DU PRÉJUDICE MATÉRIEL
Les époux ... ont engagé des frais de traduction de plusieurs documents et études médicales rédigés en langue anglaise qui ont été produits dans l'instance engagée par V. ... en 1991. Le coût s'est élevé à la somme de 4.506,08 euros. Il ne s'agit pas, comme le soutient la société UCB PHARMA, de frais irrépétibles engagés dans le cadre d'une instance dans laquelle ils n'intervenaient pas mais d'un préjudice matériel dont ils auraient pu obtenir réparation sur le fondement de la responsabilité du laboratoire à leur égard.
Toutefois leur action à l'encontre de la société UCB PHARMA sur le fondement quasi délictuel étant prescrite, ils ne peuvent obtenir le paiement de cette facture au titre de leur préjudice matériel.
Le jugement déféré sera réformé de ce chef
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, par défaut, en dernier ressort,
Infirme le jugement déféré sur le quantum des sommes allouées à V. ... et en ce qu'il a fait droit partiellement aux demandes des époux ..., Statuant à nouveau, Fixe l'indemnité due à V. ... comme suit
1) Préjudice soumis à recours
- ITT (troubles dans la vie courante) 3.000,00 euros
- IPP 45 % 135.000,00 euros
- Total 138.000,00 euros
2) Préjudice personnel
- préjudice de la-douleur physique et de la souffrance orale 40.000,00 euros .
- préjudice d'agrément 15.000,00 euros
- préjudice esthétique 5.000,00 euros
- préjudice sexuel 40.000,00 euros
- Total 100.000,00 euros
Dit n'y avoir lieu à fixation d'un préjudice spécifique d'exposition in utero au DES,
Condamne la société UCB PHARMA à payer à V. ... la somme de 238.000 euros en réparation de son préjudice corporel et dit que de cette somme sera déduit le montant de la provision déjà versée soit 16.000 euros,
Déclare irrecevables car prescrites les demandes présentées par les époux ...,
Condamne la société UCB PHARMA à payer à V. ... la somme de 7.000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau, code de procédure civile,
-12-.-
Condamne la société UCB PHARMA aux dépens de première instance et d'appel, incluant les frais d'expertise avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP TUSET CHOUTEAU, avoués, conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau code de procédure civile.
- signé par Madame B. ..., président et par Madame ..., greffier, auquel le magistrat signataire a rendu la minute.
Le GREFFIER,
Le PRÉSIDENT,
au,'
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