COUR D'APPEL RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
Audrey JACQUOT C/
S.A. UCB PHARMA 1/ SA UCB PHARMA al111111/0111111r-----,-.----^-
NANTERRE
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège DE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
VERSAILLES Code nac 63A LE VINGT ET UN DÉCEMBRE DEUX MILLE SIX,
La cour d'appel de VERSAIT LES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre
1/ Madame A. ... 2/ Monsieur J. ...
275 Chemin de Pérairol
Lotissement Les Garrigues .
CAVANAC de la Cour d'Appel de Versailles
3/ Madame B. ... épouse ...
OETING
3ème chambre ARRÊT N. 631
REPÛTE
CONTRADICTOIRE
DU 21 DÉCEMBRE 2006 R.G. N° 05/06692
représentés par la SCP TUSET-CHOUTEAU, avoués - N° du dossier
20050389
AFFAIRE plaidant par Me VERDIER, avocat au barreau d'ORLÉANS
APPELANTS et INTIMES
Décision.déférée à la cour Jugement représentée par la SCP KEIME GUTTIN JARRY, avoués - N° du rendu(e) le 10 Juin dossier 05000806 2005 par le Tribunal plaidant par le cabinet BOPS, avocats au barreau de PARIS (P.555) de Grande Instance de
NANTERRE INTIMÉE et APPELANTE
N° Chambre 1 N° Section` B 2/ CNMSS DE TOULON
N" RG 9476/02 247 avenue Jacques
TOULON CEDEX 9 Expéditions prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette executoirc-- -qualité-audit-siège -
Expéditions Copies INTIMÉE DEFAILLANTE
délivrées le 2 2 BEL, Se
à
Composition de la cour
En application des dispositions de l'article 786 du nouveau code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 01 Décembre 2006 les avocats'des parties ne s'y étant pas opposés, devant Mme WALLON, président chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte.des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de
Madame Bernadette WALLON, président, Monsieur Marc REGIMBEAU, conseiller, Madame Marie-Claude CALOT, conseiller,
Greffier, lors des débats Madame Marie-Claire THEODOSE
se-Pl-user crictireigiu
-seP KŸiHir
Ste' n4 oz eiwny
A. ... épouse ..., née le 27 février 1973, a été exposée in utero au distilbène, médicament prescrit à sa mère pendant la grossesse et commercialisé par le laboratoire UCEPHA devenu UCB PHARMA.
A l'âge de 14 ans, elle a consulté un médecin gynécologue qui a constaté une adénose cervicale traitée par cryothérapie en mai 1988 avec un succès incomplet. Elle a ensuite présenté des épisodes infectieux à mycoplasme et gardnerella suivis d'une suspicion d' annexite puis de pyosalpinx. Une coelioscopie a été pratiquée au cours de laquelle une électrocoagulation du col a été effectuée.
A. ... s'est mariée en 1991. L'absence de grossesse malgré une stimulation ovarienne a justifié une hystérographie le 7 novembre 1996 puis une coelioscopie le 23 octobre 1997 en vue d'une fécondation in vitro. Les trois tentatives de fécondation in vitro avec réimplantation de plusieurs embryons ont échoué.
Considérant que l'infertilité dont elle est atteinte est la conséquence directe de son exposition in utero au distilbène prescrit à sa mère, A. ... a saisi le tribunal de,grande instance de Nanterre par acte du 11 juillet 2002.
Par décision du 22 avril 2003, le juge de la mise en état a ordonné une mesure d'expertise et commis pour y procéder un collège d'experts.
Les docteurs ..., ... et ... ont déposé leur rapport le 31 août 2004.
Par jugement du 10 juin 2005 ;le tribunal de grande instance de Nanterre a - déclaré le jugement commun à la CNMSS de Toulon
- dit n'y avoir lieu à nullité du rapport d'expertise, à recours à une question préjudicielle à la CJCE, ni à voir écarter des débats les pièces 54, 57, 71 et 72, ni à dommages-intérêts pour abus de droit
- déclaré la société UCB PHARMA responsable pour deux tiers sur le fondement des articles 1165, 1382 et 1383 du code civil de l'infertilité primaire dont est atteinte A. ... épouse ...
- condamné la société UCB PHARMA à payer à A. ... épouse ..., la somme de 44.866,66 euros en réparation de son préjudice corporel à B. ... épouse' ..., la somme de 3.000 euros en réparation. de son préjudice moral par ricochet
J. ..., ha somme de 4.000 euros en réparation de son préjudice d'affection par ricochet et la somme de 8.000 euros en réparation de son préjudice économique
- aux consorts ..., la somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile
- ordonné l'exécution provisoire
- condamné la société UCB PHARMA aux dépens comprenant les frais d'expertise.
Les consorts ... ... ont interjeté appel de cette décision le 30 août 2005.
La société UCB PHARMA a interjeté appel de cette décision le 18 novembre 2005.
Les procédures ont été jointes par ordonnance du 9 décembre 2005.
Aux termes de leurs dernières conclusions signifiées le 24 novembre 2006 auxquelles il est expressément renvoyé pour plus ample exposé, A. ... épouse ..., J. ... et B. ... épouse ... demandent à la cour, au visa des articles 1165, 1382, 1383 et 1353 du code civil, de
- confirmer pour partie le jugement déféré
- dire que les anomalies utérines et les traitements imposés pour l'adénose vaginale sont responsables de la stérilité d'A. ... et consécutives à la prise du distilbène pendant la grossesse de B. ... et à l'exposition in utero de l'enfant
- l'infirmer pour le surplus
- déclarer la société UCB PHARMA entièrement responsable du dommage subi par A. ... épouse ... et tenue de le réparer
- statuant à nouveau
- condamner la société UCB PHARMA au paiement des sommes suivantes en réparation du préjudice subi par A. ... épouse ...
· ITT 1.000,00 euros .
IPP 105.000,00 euros préjudice esthétique 1.000,00 euros préjudice de la douleur 15.000,00 euros préjudice sexuel 35.000,00 euros
préjudice spécifique 75.000,00 euros
- condamner la société UCB PHARMA au paiement de la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 1382 du code civil pour abus du droit d'agir en exception de nullité du rapport d'expertise
- condamner la société UÇB PHARMA à payer à B. ... la somme de 10.000 euros au titre de son préjudice moral propre ét la somme de 8.000 euros au titre de son préjudice . d'affection par ricochet
- condamner la société UCB PHARMA à payer à J. ... la somme de 25.000 euros au titre de son préjudice moral propre et la somme de 36.473 euros au titre de son préjudice professionnel et matériel
- condamner la société UCB PHARMA au paiement de la somme de 13.000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile comprenant notamment les frais de déplacements et l'assistance aux opérations d'expertise à Nantes
- condamner la société UCB PHARMA aux entiers dépens comprenant les frais d'expertise avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP TUSET CHOUTEAU, avoués, conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 30 novembre 2006 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé, la société UCB PHARMA demande à la cour de
à titre principal
- infirmer le jugement déféré en ce qu'il a retenu sa responsabilité et statuant de nouveau,
- dire et juger que le lien de causalité entre la stérilité invoquée par A. ... et son exposition in utero au distilbène n'est pas établi et débouter les appelants de leurs demandes
- dire et juger que la combinaison des articles 1165 et 1382 du code civil est inapplicable en l'espèce
- dire et juger que la responsabilité alléguée d'UCB PHARMA doit s'apprécier au regard des seules règles de la responsabilité délictuelle tant à l'égard de A. ... qu'à celui de son époux et de sa mère
- dire et juger, au visa de l'article 6 de la CEDH, que le principe de précaution, dont l'obligation de vigilance n'est qu'une modalité, n'est pas une règle autonome de la responsabilité civile, qu'elle soit contractuelle ou délictuelle, que le principe de précaution n'était pas en vigueur à l'époque des faits, que sa responsabilité doit s'apprécier au regard des seules obligations en vigueur en 1972 et, en conséquence, écarter l'application du principe de précaution
- en toute hypothèse,
- dire et juger qu'elle n'a pas commis de faute en ayant maintenu la commercialisation du distilbene en 1972 compte tenu de l'état des connaissances scientifiques de l'époque
- dire et juger que sa responsabilité ne peut être retenue et rejeter toutes les demandes
. subsidiairement
- dire et juger que sa responSabilité n'est que partielle et ne saurait excéder 50 %
- dire et juger que la demande de nullité du rapport d'expertise motivée par la partialité des experts n'est pas constitutive d'un abus de droit
- constater qu'elle abandonne sa demande de nullité du rapport d'expertise dans le cadre de la présente instance
- débouter A. ... épouse ... de sa demande en dommages-intérêts au titre d'un prétendu abus de droit de sa part
. sur le préjudice économique de A. ... épouse ...
- dire et juger que l'indemnité allouée aU titre de l'ITT ne saurait excéder la somme de 300 euros
- dire et juger que l'indemnité allouée au titre de l'IPP ne saurait excéder 45.000 euros dont la moitié lui serait imputable
. sur les préjudices personnels de A. ... épouse JACQUOT - vu l'article 31 de la loi du 5 juillet 1985
- dire et juger que la notion de préjudice spécifique de contamination n' a pas lieu d'être transposée, en l'espèce
- en conséquence
- rejeter toute demande au titre d'un préjudice spécifique
- dire et juger que l'évaluation des préjudices de A. ... épouse ... devra se faire au regard des chefs de préjudice définis à l'article 31 de la loi du 5 juillet 1985 soit
- le pretium doloris, évalué à 3,5/7 recouvrant tant les souffrances physiques que les souffrances psychiques ou morales, sera indemnisé pat une somme qui ne saurait excéder 15.000 euros dont la moitié seulement à sa charge le préjudice sexuel n'est pas établi aucune indemnité ne peut être allouée au titre du préjudice esthétique
. sur les demandes de B. ...
- dire et juger que les préjudices invoqués Parg-aillé OSWAlifi constituent en réalité un seul -et même préjudice moral et que ce préjudice ne saurait excéder 4.000 euros
. sur les demandes de J. ...
- dire et juger que l'indemnité due au titre du préjudiçe moral ne saurait excéder 4.000 euros
- dire et juger que la perte de chance au plan professionnel en lien direct avec le fait dommageable n'est pas démontrée et débouter J. ... de sa demande en réparation du préjudice économique allégué
- réduire à de plus justes proportions la demande sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile
- condamner les consorts ... aux dépens de première instance et d'appel avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP KEIME GUTTIN JARRY, avoués, conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.
La Caisse CNMSS de Toulon régulièrement assignée par acte du 30 avril 2006 n'a pas constitué avoué mais a indiqué par lettre du 21 avril 2006 que le montant des prestations versées s'élève à la somme de 8.984,56 euros.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 30 novembre 2006.
MOTIFS
- Sur la demande en dommages-intérêts pour abus de droit
Devant les premiers juges, la société UCB PHARMA avait conclu à la nullité du rapport d'expertise pour partialité des experts et plus particulièrement du docteur ....
En cause d'appel, la société UCB PHARMA a abandonné cette demande compte tenu de la décision rendue par la cour d'appel de Versailles le 5 janvier 2006 rejetant sa demande de récusation de l'expert M. ... malgre les manquements de celui-ci au devoir de réserve -
résultant de ses publications.
Il convient de lui en donner acte.
Certes la société UCB PHARMA a sollicité à de nombreuses reprises la récusation de l'expert, M. ..., puis a conclu à la nullité du rapport du collège d'experts mais cette multitude de demandes s'explique par le nombre des instances en cours relatives aux demandes d'indemnisation des victimes du distilbène et n'on à un acharnement procédural à l'encontre de chaque demandeur.
Par ailleurs, dans son arrêt du 5 janvier 2006, la cour d'appel de Versailles a confirmé la décision du juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Nanterre rejetant la demande de récusation du docteur ... mais a relevé des manquements déontologiques au devoir de réserve qui oblige tout expert, caractérisés en l'espèce en ces termes "il est certes regrettable que le docteur ... alors qu'il est en charge ....à raison de sa compétence notoire __dans .ce_ domaine scientifique, de missions d'expertise dans des dossiers graves tant sur leplan humain qu'économique, se prévale de sa qualité d'expert judiciaire pour véhiculer ses idées et ses opinions personnelles sur un ton souvent excessif et se défendre contre ce qu'il estime être des attaques personnelles alors qu'il ne s'agit que de l'exercice d'un droit par ceux qui demandent sa récusation ou critiquent ses avis dans des débats judictaires...
L'attitude du docteur ..., dont ni les victimes ni la société UCB PHARMA ne sont responsables, explique les contestations émises par cette dertiière qui pouvait craindre une certaine partialité de cet expert.
En exerçant le droit qui appartient à tout justiciable de contester la validité d'un rapport d'expertise et en exerçant son droit d'appel, la société UCB PHARMA n'a commis aucun abus de droit et ce d'autant qu'elle a tiré les conséquences de l'arrêt rendu par la cour d'appel de Versailles pour abandonner sa !demande de nullité du rapport d'expertise en cause d'appel.
La demande en dommages-intérêts de ce chef doit être rejetée.
- Sur la responsabilité de la société UCB PHARMA
Il est,établi et non contesté par la société UCB PHARMA qu'un traitement par distilbène a été prescrit à B. ..., alors enceinte de trois mois et demi, pendant une courte période inférieure à un mois à une posologie de 25mg/j.
Compte tenu des circonstances dans lesquelles A. ... épouse ... a été atteinte, il convient de rechercher la responsabilité de la société UCB PHARMA non sur le fondement contractuel mais sur un fondement délictuel par application des articles 1165, 1382 et 1383 du code civil selon lesquels les tiers à un contrat sont fondés à invoquer tout manquement du débiteur contractuel lorsque ce manquement leur a causé un dommage, sans avoir à rapporter d'autre preuve, étant précisé que la commercialisation du produit repose bien sur une succession de contrats, peu important qu'il n'existe pas de lien contractuel direct entre le laboratoire et la patiente à laquelle le traitement est prescrit.
Selon le rapport d'expertise médicale du collège d'experts désignés le 22 avril 2003, parmi les causes les plus nettes d'infertilité, on relève
- une insuffisance de la glaire cervicale, indirectement imputable au DES via les traitements motivés par l'adénose cervicale classiquement provoquée par l'exposition in utero à cette hormone
· une obstruction tubaire le plus probablement imputable à une infection génitale sévère au début de la vie sexuelle de la requérante ; cette obstruction unilatérale ne parait toutefois pas suffisante pour rendre compte de cette stérilité.
Les experts ont ehvisagé les autres causes de stérilité, la mauvaise qualité des ovules et les anomalies de la vascularisation utérine pour les rejeter. En effet, les auteurs concluent qu'une exposition in utero au DES n'a pas d'influence significative sur la qualité des ovocytes ou sur le potentiel de fécondation et en l'espèce A. ... a des ovulations de bonne qualité et des ovocytes ont été obtenu et fécondés. Quant aux anomalies de la vascularisation utérine qui pourraient rendre compte de difficultés de nidation suite à une exposition in utero au DES, elles n'ont pas été clairement mises en évidence chez A. ... et les experts précisent qu'il n'est pas possible d'exclure le rôle d'autres facteurs éventuellement non iatrogènes.
Les experts indiquent également que si l'exposition in -utero àu DES de la requérante est intervenue dans la fenêtre critique du risque sous la forme la plus dosée, en revanche, la durée de traitement n'ayant pas dépassé un mois, la dose cumulée reçue par sa mère peut être considérée comme relativement Ils concluent qu'il existe au moins une cause indubitable de subfertilité non liée au DES, à savoir l'obstruction tubaire gauche en rapport avec une ancienne et sévère infection génitale, que sans exclure la co-existence de plusieurs causes d'infertilité, ils estiment néanmoins que l'exposition in utero au DES représente bien le "suspect n° 1" dans les problèmes de stérilité rencontrés par A. ..., que les antécédents de cette exposition apparaissent bien comme la cause la plus probable et la plus déterminante des prnblèmes de fertilité.
Cette conclusion des experts n'est nullement en contradiction avec leurs analyses des différentes causes de stérilité puisque l'insuffisance dg glaire cervicale est une cause de stérilité et qu'en l'espèce cette insuffisance, qui est certaine, est due au traitement de l'adénose cervicale elle-même, sans contestation imputable à l'exposition in utero au DES.
Selon le rapport général d'expertise dressé par le collège de quatre experts désignés en septembre 1994, avant 1969, et dès les années 1953-1954, les doutes sur l'efficacité du distilbène dans l'indication d'avortement spontané et la littérature expérimentale qui faisait état de la survenance de cancers très divers auraient dajustifier une attitude différente du laboratoire UCB. En effet les études expérimentales chez l'animal (Lacassagne et al.1938 et Gabriel-Robez ét al.1967) ont trouvé des effets défavorables, cancers ou malformations comme des fentes palatines et des anomalies cardiaques. D'autres études sur l'animal en 1942, 1947. 1950, 1952, 1959, bien que leurs conclusions ne soient pas à l'époque directement transposables à l'homme, qui avaient révélé des effets toxiques généraux y compris des effets tératogènes, auraient du conduire le laboratoire UCB d'une part, à surveiller l'efficacité de son produit d'autre part, à poursuivre les recherches sur ses conséquences à plus ou moins long terme sur les femmes auxquelles le médicament était prescrit.
Dès 1972, le Concours médical, largement diffusé auprès des médecins généralistes, titrait "D.E.S. 5 (diethylstilboestrol) chez la mère, cancer à retardement pour l'enfant adénocarcinome vaginal considéré comme conséquence directe du traitement par oestrogènes de synthèse". A partir de 1971, certains médecins tenaient ce médicament pour dangereux ; les observations faites en clinique humaine et la position de la FOOD AND DRUG ADMINISTRATION américaine contre-indiquaient l'utilisation du diéthylstilboestrol, chez la femme enceinte.
Malgré les études mettant en évidence l'inefficacité du distilbène et les risques gravissimes d'un tel traitement, la société UCB PHARMA n'a pris aucune mesure alors que le rapport bénéfices/risques était défavorable. En méconnaissant les avertissements contenus dans la littérature médico-scientifique de 1939 à 1969, puis les études à compter de 1971 qui relevaient les risques d'un traitement avec le distilbène, elle a manqué à son obligation de vigilance, attitude constitutive d'une faute de nature à engager sa responsabilité.
H est ainsi établi par des présomptions graves, précises et concordantes que le distilbène, produit dont la société UCB PHARMA a fautivement maintenu la distribution destinée aux femmes enceintes, a provoqué l'infertilité dont A. ... épouse ... est atteinte.
Le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a déclaré la société UCB PHARMA responsable sur le fondement des articles 1165, 1382 et 1383 du code civil de l'infertilité dont est atteinte A. ... épouse ... mais infirmé en ce qu'if à Iiinité cette - "" responsabilité à deux tiers.
- Sur les demandes de A. ... épouse ...
Il résulte du rapport des experts judiciaires, le professeur ..., le docteur ... et le docteur M. ..., dont les conclusions seront retenues par la cour dans la mesure où elles procèdent d'une analyse complète, claire et minutieuse et ne sont remises en cause par aucune pièce médicale contraire que
A. ... épouse ..., exposée in utero au distilbène, a présente' une adénose cervicale à l'origine de l'infertilité dont elle souffre l'incapacité temporaire totale correspond aux explorations pour qualifier la stérilité et aux contraintes de.la fécondation in vitro justifiant chacune une période d'ITT de 10 jours l'incapacité permanente partielle est de 2.5 % le pretium doloris est évalué à 3,5/7
· pas de préjudice esthétique décelable
· pas de préjudice d'agrément.
Sur la base de ces conclusions et au vu des pièces produites aux débats, le préjudice subi par A. ... épouse ... doit être indemnisé comme suit
1/ PRÉJUDICE SOUMIS A RECOURS
- frais médicaux
La caisse nationale militaire de sécurité sociale justifie de débours à hauteur de 8.984,56 euros.
au titre de VITT
A. ... épouse ... a du interrompre ses activités lors des coelioscopies puis lors des tentatives de fécondation in vitro. Elle n'exerçait alors aucune activité salariée et ne subit donc aucun préjudice économique.
Pendant la période d'incapacité temporaire totale inférieure à 90 jours, A. ... épouse ... n'a pas été en mesure de se livrer à ses activités habituelles. Elle â subi un préjudice du fait de la perte des joies habituelles de la vie courante.
Il lui sera alloué de ce chef la somme de 1.000 euros.
- au titre de L'IPP
Les experts ..., ... et ... ont retenu un taux de 25 %.
Les_ experts ont relevé que A. ... épouse ... présente une stérilité primaire actuellement non accessible aux techniques d'assistance médicale a la procréation.
L'IPP sera justement indemnisée à hauteur de 45.000 euros à partir d'une valeur du point de 1.800 euros.
te préjudice soumis à recours des organismes sociaux S'élève à la somme de 54.984,56 euros.
2/ PRÉJUDICE A CARACTÈRE PERSONNEL
- au titre du préjudice spécifique de contamination
Se fondant sur la jurisprudence relative à l'indemnisation des transfusés contaminés par le virus du SIDA ou de l'hépatite C qui a dégagé un nouveau concept de préjudice, le préjudice spécifique de contamination, A. ... épouse ... sollicite
l'indemnisation d'un préjudice spécifique d'exposition in utero au DES incluant les soufhances morales éprouvées à la suite des traitements nécessaires mais également l'angoisse d'une récidive qui n'est jamais exclue et les souffrances quotidiennes au plan affectif et moral.
Sans aucunement méconnaître la souffrance morale de A. ... épouse ... qui ne peut avoir d'enfants malgré plusieurs tentatives de fécondation in vitro avec les contraintes de cette technique médicale et les angoisses de ses échecs, il n'apparaît pas que l'indemnisation de ce préjudice justifie le recours à la notion de préjudice spécifique.
En effet, le préjudice spécifique de contamination se définit comme le préjudice résultant pour une victime de la connaissance de sa contamination par un agent exogène, qu'il soit biologique, physique ou chimique, qui comporte le risque d'apparition à plus ou moins brève échéance d'une pathologie mettant en jeu le pronostic vital. C'est ainsi qu'il a été retenu par la jurisprudence notamment pour les victimes transfusées contaminées par le virus du SIDA. Il inclut, dès la phase de séropositivité, tous les troubles psychiques subis du fait de la contamination (réduction de l'espérance de vie, incertitude quant à l'avenir, crainte d'éventuelles souffrances physiques et morales, isolement, perturbations de la vie familiale et sociale, préjudice sexuel et de procréation) mais également les différents préjudices personnels apparus ou susceptibles d'apparaître comme les souffrances endurées, le préjudice esthétique et le préjudice d'agrément. Le préjudice spécifique de contamination regroupe en réalité l'ensemble des préjudices d'ordre physiologique, psychologique et moral et permet d'indemniser l'entier préjudice des victimes qui sont menacées par une maladie grave mais dont les effets se développeront au terme d'une période dont la durée, qui peut être très longue, est au départ indéterminée.
Le préjudice spécifique de contamination tend à prendre en compte des dommages particuliers comme la réduction de l'espérance de vie avec les angoisses liées à une mort quasiment programmée, les perturbations affectives, familiales et sociales dans les conditions d'existence de la victime ainsi que le caractère essentiellement évolutif des dommages qui ne peuvent être indemnisés selon l'évaluation de droit commun qui suppose un dommage avéré et un état de consolidation.
Or en l'espèce, l'infertilité dont souffre A. ... épouse ... est connue et ne va pas évoluer dans un sens défavorable.
Par ailleurs, tous les enfants exposés in utero au DES ni-ont-pasété .affeirità- de - maladie ou de malformations. Il n'existe donc pas un préjudice résultant du seul fait de l'exposition au DES. Les effets néfastes de ce médicament ne sont apparus que chez certaines personnes et sont très divers dans leurs manifestations de sorte qu'on ne peut retenir la notion générale d'exposition au distilbène pour justifier une indemnisation qui ne peut concerner que celles qui sont effectivement victimes de pathologies ou de malformations.
Les différents préjudices subis par A. ... épouse ... peuvent être indemnisés selon les Critères habituels en matière de réparation du préjudice corporel ce qu'elle ne conteste d'ailleurs pas PuiSqu'elle sollicite, outre la réparation de ce préjudice spécifique d'exposition in utero, celle des préjudices personnels couramment retenus.
En réalité sous le terme de préjudice spécifique d'exposition in utero, A. ... .épouse ... sollicite la réparation de son préjudice moral, lequel est incontestable et peut être indemnisé au titre du préjudice de la douleur.
- au titre du préjudice de la douleur physique et de la souffrance morale
Les experts ont fixé le pretium doloris à 3,5/7.
Au titre des douleurs physiques, A. ... épouse ... a subi des examens pénibles et plusieurs tentatives de fécondation in vitro.
A ces douleurs physiques s'ajoutent des souffrances morales qui sont la conséquence directe de l'exposition in utero au DES.
En effet, A. ... épouse ... est privée des joies de la maternité. Elle est en outre confrontée à l' incompréhension de son entourage quant à cette absence de maternité s'agissant d'un milieu où il est habituel d'avoir beaucoup d'enfants ce qui rend difficile la dissimulation de ses difficultés.
Ce préjudice sera indemnisé par l'octroi de la somme de 10.000 euros. au titre du préjudice deprocréation
A. ... épouse ... présente des anomalies morphologiques qui la rendent infertile. Compte tenu de l'échec des trois tentatives de fécondation in vitro, les médecins sont réservés sur l'opportunité de tentatives ultérieures. Après avoir espéré mener à terme une grossesse, elle a vécu douloureusement les échecs.
S'agissant d'une jeune femme, ce préjudice sera indemnisé à hauteur de 10.000 euros.
- au titre du préjudice esthétique
Les experts n'ont retenu aucun préjudice esthétique. Seule la cicatrice ombilicale de coelioscopie peut être retenue. Toutefois, la première coelioscopie n'a pas été justifiée par l'adénose cervicale mais par les infections répétées dont elle a souffert sans lien avec l'exposition in utero au DES. Cette demande ne peut prospérer.
- Sur les demandes de B. ... au titre de son pre'judie in- o"- ratpar-rtcachet
B. ... ..., mère de A. ... épouse ..., sollicite ia réparation de son préjudice moral d'affection, confrontée à la souffrance de sa fille lors des examens médicaux et tout au long de ses grossesses.
Il s'agit là d'une demande quitie peut être fondée que sur les articles 1382 et 1383 du code civil bien qu'aucun fondement juridique ne soit précisé dans les dernières conclusions.
Il n'est pas contestable grue la mère de A. ... épouse ..., qui accompagne, soutient, aide sa fille dans l'épieuve qui est la sienne, subit un préjudice moral par ricochet dont la société UCB PHARMA ne conteste d'ailleurs pas' l' existence.
Ce préjudice sera justement indemnisé par l'octroi de la somme de 2.000 euros.
- Sur la demande de B. ... au titre de son préjudice moral propre
B. ... soutient qu'elle a été le vecteur d'un dommage corporel grave sur sa propre descendance, qu'elle a été en lien avec le fabricant UCB PHARMA lequel est contractuellement débiteur d'une obligation de sécurité de résultat à son égard. Elle ne précise toutefois pas le fondement juridique de sa demande au titre de son préjudice moral propre.
Sa demande est recevable sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle de la société UCB PHARMA.
Il ne peut être contesté que B. ... subit un préjudice moral personnel certain puisqu'elle porte, comme elle l'indique dans ses écritures, le poids d'une terrible culpabilisation consistant à avoir absorbé au cours de la grossesse un médicament qui devait l'aider à donner la vie, lequel s'est révélé 25 ans plus tard comme la cause de l'infertilité de sa fille.
Ce préjudice sera réparé par l'octroi d'une somme de 2.000 euros. Sur la-demande de J. ...
J. ..., époux de A. ..., sollicite la réparation de son préjudice moral conséquence d'une vie de couple où les désirs d'enfants n'ont pu être satisfaits.
Il s'agit là d'une demande qui ne peut être fondée que sur les articles 1382 et 1383 du code civil bien qu'aucun fondement juridique ne soit précisé dans les dernières conclusions.
Il n'est pas contestable que J. ... subit un préjudice moral important car il a du renoncer à avoir des enfants dans un milieu professionnel et social où il est habituel de fonder des familles nombreuses.
Ce préjudice sera justement indemnisé par l'octroi de la somme de 8.000 euros.
En revanche, s'il est très vraisemblable que J. ..., qui avait l'habitude d'accepter des missions à l'étranger, a du y renoncer quelques temps lorsque les tentatives de fécondation in vitro étaient en cours, il ne saurait réclamer réparation de cette perte de chance de percevoir des indemnités complémentaires de 1996 à 2001 alors que les trois tentatives de fécondation in vitro se sont déroulées les 12 février 1998, 29 avril 1998 et 14 septembre 1998. Après ce dernier échec, les époux ont renoncé à tout traitement de sorte qu'il n'y a plus eu d'incidence sur la carrière de J. ....
Il lui sera alloué la somme de 5.000 euros au titre de la perte de chance d'obtenir9 des missions extérieures avec un complément de solde au cours de l'année 1998.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire, en dernier ressort,
· Constate que la société UCB PHARMA a abandonné sa demande de nullité du ' rapport d'expertise,
Déboute les consorts ... de leurdemande en dommages-intérêts pour abus du droit d'agir en exception de nullité du rapport d'expertise,
Infirme le jugement déféré en ce qu'il a limité la responsabilité de la société UCB PHARMA à deux tiers, Statuant à nouveau,
Déclare la société UCB PHARMA responsable sur le fondement des articles 1165, 1382 et 1383 du code civil de l'infertilité dont est atteinte A. ... épouse ..., Fixe l'indemnité due à A. ... épouse ... comme suit
1) Préjudice soumis à recours
- frais médicaux et pharmaceutiques 8.984,56 euros ITT (troubles dans la vie courante> 1.000,00 euros IPP 25 % 45.000,00 euros
- Total 54.984,56 euros
21 Préjudice personnel
- préjudice de la douleur physique et de la souffrance morale 10.000,00 euros
- préjudice sexuel 10.000,00 euros
- total 20.000,00 euros
Dit n'y avoir lieu à fixation d'un préjudice spécifique d'exposition in utero au DES,
Condamne la société UCB PHARMA à payer à A. ... épouse ... la somme de 66.000euros en réparation dé son préjudice corporel,
Condamne la société UCB PHARMA à payer à B. ... la somme de 2.000 euros en réparation de son préjudice moral personnel et la somme de 2.000 euros en réparation de son préjudice moral par ricochet, Condamné la société UCB PHARMA à payer à J. ... la somme de 8.000 euros en réparation de son préjudice moral personnel et la somme de 5.000 euros en réparation de son préjudice écdnomique,
Condamne la société UCB PHARMA à payer aux consorts ... la somme de 7.000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile pour la procédure d'appel,
Condamne la société UCB PHARMA aux dépens de première instance et d'appel, incluant les frais d'expertise avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP TUSET
CHOUTEAU, avoués, conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau code de procédure civile.
- signé par Madame B. ..., président et par Madame ..., greffier, auquel le magistrat signataire a rendu la minute.
Le GREFFIER, Le PRÉSIDENT,
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