CA Versailles, 3e, 21-12-2006, n° 05/06691



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COUR D'APPEL e fet>',,,e RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

VERSAILLES e .-es COPIÈ!

DE % ur.,1 'eb- AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

eget LE VINGT ET UN DÉCEMBRE DEUX MILLE SIX, " r

etegb ee La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dates- 'affaire

. Code nac 63 .,§ entre

CP

3ème chani4ese 1/ Madame S. S. ... épouse ... 2/ Monsieur ...

ARRÊT N" 6- 3 6. agissant tant en leur nom personnel qu'en leur qualité de

REPUTE représentants légaux de leur fils mineur Yohann

CONTRADICTOIRE ' 336 C. B. F.

Résidence "les Moniques" ... A.

4

DU 21 DÉCEMBRE TOULON


R.G. N° 05/06691 3/ Madame Y. A. J. ... ... épouse ... .


THIONVILLE
AFFAIRE

représentés par la SCP TUSET-CHOUTEAU, avoués - N° du dossier

20050393

plaidant par Me VERDIER, avocat au barreau d'ORLÉANS

Mme S. S. ... épouse ... et INTIMES SCHATT

C/ 1/ SA UCB PHARMA

****************

SA
NANTERRE

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette

qualité audit siège

Décision déférée à la représentée, par la SCP KEIME GUTTIN JARRY - N° du dossier cour Jugement rendu 05000805 le 10 Juin 2005 par le plaidant par le cabinet BOPS, avocats au barreau de PARIS (P.555) Tribunal de Grande Instance de INTIMÉE et APPELANTE

NANTERRE

2/ CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU VAR


TOULON
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

INTIMÉE DEFAILLANTE

Composition de la cour

En application des dispositions de l'article 786 du nouveau code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 01 Décembre 2006 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Mme WALLON, président chargé du rapport.

N.. ... 1

N. ... B

N° RG 13442/00

--se if El ti E GeTT1e1

.t J-C PR 1 Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de

Madame Bernadette WALLON, président, Monsieur Marc REGIMBEAU, conseiller, Madame Marie-Claude CALOT, conseiller,

Greffier lors des débats Madame Marie-Claire THEODOSE




S. ... épouse ..., née le 14 mars 1970, a été exposée in utero au distilbène, médicament prescrit à sa mère pendant la grossesse et commercialisé par le laboratoire UCEPHA devenu UCB PHARMA.

En 1992, alertée sur les conséquences d'une exposition au distilbène par une émission de télévision, elle a consulté un médecin gynécologue. L' hystérographie pratiquée le juin 1992 a révélé une imperméabilité tubaire bilatérale et une petite dysmorphie de la cavité utérine non spécifique par ailleurs.

S. ... s'est mariée en 1995 et a souhaité très rapidement avoir un enfant. Fin 1995, un problème d'infertilité primaire a été retenu. Le 9 octobre 1995, la coelioscopie, a montré une obstruction tubaire bilatérale au niveau des cornes utérines. L'hystérographie de contrôle pratiquée le 3 juin 1996 et lanouvelle coelioscopie du 28 juin 1996 ont confirmé une absence de passage tubaire.

Une fécondation in- vitro a été décidée. S. ... a été enceinte à la troisième tentative et a mis au monde, par césarienne, le 13 novembre 2000 à 36 semaines d'aménorrhée une petite fille en bonne santé de 2150 grammes.

Une seconde fécondation in vitro a permis la naissance. le 1" juillet 2003, à 35 semaines et demi d'aménorrhée, d'un petit garçon de 2680 grammes, en bonne santé mais présentant un hypospadias.

Considérant que l'infertilité dont elle est atteinte est la conséquence directe de son exposition in utero au distilbène prescrit à sa mère, S. ... a saisi le tribunal de grande instance de Nanterre par acte du 6 octobre 2000.

Par décision du 10 septembre 2002; le juge de la mise en état a ordonné une mesure d'expertise et commis pour y procéder un collège d'experts.

Les docteurs ..., ... et ... ont déposé leur rapport le 31 août

2004.

Par jugement du 10 juin 2005, le tribunal de grande instance de Nanterre a

- dit n'y avoir lieu à nullité du rapport d'expertise, à recours à une question préjudicielle à la CJCE, ni à voir écarter des débats les pièces 54, 57, 71 et 72, ni à dommages-intérêts pour abus de droit

- déclaré la société UCB PHARMA responsable sur le fondement des articles 1165, 1382 et 1383 du code civil l'infertilité primaire dont est atteinte S. ... épouse ...

- condamné la société UCB PHARMA à payer

· à S. ... épouse ..., la somme de 28.950 euros en réparation de son préjudice corporel sous recours de la CPAM

· à Y. ... ... épouse ..., la somme de 2.000 euros en réparation de son préjudice moral par ricochet aux consorts ..., la somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile

à la CPAM du Var, la somme de 700 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile

- ordonné l'exécution provisoire débouté les époux ... de leur demande d'expertise pour leur fils Yohann

- condamné la société UCB PHARMA aux dépens comprenant les frais d'expertise.

Les consorts ... ont interjeté appel de cette décision le 30 août 2005.

La société UCB PHARMA a interjeté appel de cette décision le 18 novembre 2005. Les procédures ont été jointes par ordonnance du 9 décembre 2005.

Aux termes de leurs dirruères conclusions signifiées le 24 novembre 2006 auxquelles il est expressément renvoyé pour plus ample exposé, S. ... épouse ..., J. ... et Y. ... ... épouse ... demandent à la cour, au visa des articles 1165, 1382, 1383 et 1353 du code civil, de

- confirmer pour partie le jugement déféré

- dire que l'infertilité et les malformations utérines sont consécutives à la prise du distilbène pendant la grossesse de Y. ... et à l'exposition in utero de l'enfant

- déclarer la société UCB PHARMA responsable du dommage subi par S. ... épouse ... et tenue de le réparer

- l'infirmer pour le surplus - statuant à nouveau

- condamner la société UCB PHARMA au paiement des sommes suivantes en réparation du préjudice subi par S. ... épouse ...

· ITT 8.416,90 euros

· IPP à titre principal 65.000,00 euros

· (IPP à titre subsidiaire) 39.000,00 euros

· préjudice de la douleur 8.000,00 euros

· préjudice esthétique 1.000,00 euros

· préjudice sexuel 25.000,00 euros

· préjudice spécifique .35.000,00 euros

- condamner la société UCB PHARMA au paiement de la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 1382 du code civil pour abus du droit d'agir en exception de nullité du rapport d'expertise

- condamner la société UCB PHARMA à payer à Y. ... la somme de 10.000 euros au titre de son préjudice moral propre et la somme de 5.000 euros au titre de son préjudice d'affection par ricochet

- ordonner une mesure d'expertise médicale de l'enfant Y. ... aux, frais avancés se la société UCB PHARMÀ

- condamner la société UCB PHARMA au paiement de la somme de 13.000 euros sur le fondement de l'article 700 dû nouveau code de procédure civile comprenant notamment les frais de déplacements et l'assistance aux opérations d'expertise à Nantes,

- condamner la société UCB PHARMA aux entiers 'dépens comprenant les frais d'expertise avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP TUSET CHOUTEAU, avoués, conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 30 novembre 2006 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé, la société UCB PHARMA demande à la cour de

. à titre principal

- infirmer le jugement déféré en ce qu'il a retenu sa responsabilité et statuant de nouveau

- dire et juger que le lien de causalité entre la stérilité invoquée par S. ... et son exposition in utero au distilbène n'est pas établi

- dire et juger que la combinaison des articles 1165 et 1382 du code civil est inapplicable en l'espèce

- dire et juger que la responsabilité alléguée d'UCB PHARMA doit s'apprécier au regard des seules règles de la responsabilité délictuelle tant à l'égard de S. ... qu'à celui de sa mère

- dire et juger, au visa de l'article 6 de la CEDH, que le principe de précaution, dont l'obligation de vigilance n'est qu'une modalité, n'est pas une règle autonome de la responsabilité civile, qu'elle soit contractuelle ou délictuelle, que le principe de précaution n'était pas en vigueur à l'époque des faits, que sa responsabilité doit, s'apprécier au regard des seules obligations en vigueur en 1969-1970 et, en conséquence, écarter l'application du principe de précaution

- en toute hypothèse,

- dire et juger qu'elle n'a pas commis de faute en ayant maintenu la commercialisation du distilbène en 1969 compte tenu de l'état des connaissances scientifiques de l'époque

- dire et juger que sa responsabilité ne peut être retenue et rejeter toutes les demandes . subsidiairement

- dire et juger que la demande de nullité du rapport d'expertise motivée par la partialité des experts n'est pas constitutive d'un abus de droit

- constater qu'elle abandonne sa demande de nullité du rapport d'expertise dans le cadre de la présente instance

- débouter S. ... épouse ... de sa demande en dommages-intérêts au titre d'un prétendu abus de droit de sa part

- sur le préjudice économique de S. ... épouse ...

- dire et juger que l'indemnité allouée au titre de l' ITT ne saurait excéder la somme de 2.000 euros

- dire et juger que l'indemnité allouée au titre de l'IPP ne saurait excéder 21.450 euros

- sur les préjudices personnels de S. ... épouse ...

- vu l'article 31 de la loi du 5 juillet 1985

- dire et juger que la notion de préjudice spécifique de contamination n'a pas lieu d' être transposée en l'espèce

- en conséquence

- rejeter toute demande au titre d'un préjudice spécifique

- dire et juger que l'évaluation des préjudices de S. ... épouse ... devra se faire au regard des chefs de préjudice défmis à l'article 31 de la loi du 5 juillet 1985 soit

le pretium doloris, évalué à 3/7 recouvrant tant les souffrances physiques que les souffrances psychiques ou morales, sera indemnisé par une somme qui ne saurait excéder 5.500 euros le préjudice sexuel n'est pas établi aucune indemnité ne peut être allouée au titre du préjudice esthétique

- sur les demandes de Y. ...

- dire et juger que les préjudices invoqués par Y. ... constituent en réalité un seul et même préjudice moral et que ce préjudice ne saurait excéder 2.000 euros

· - confirmer le jugement déféré en ce qu'il a rejeté la demande d'expertise des époux ... pour l'enfant Yohann

- réduire à de plus justes proportions la demande sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile

- condamner les consorts ... aux dépens de première instance et d'appel avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP KEIME GUTTIN JARRY, avoués, conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.

La CPAM du Var régulièrement assignée par acte du 30 mars 2006 et du 12 avril 2006 n'a pas constitué avoué mais a indiqué par lettre du 18 avril 2006 que le montant des prestations versées s'élève à la somme de 909,83 euros.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 30 novembre 2006.

MOTIFS


sur la demande en dommages-intérêts pour abus de droit

Devant les premiers juges, la société UCB PHARMA avait conclu à la nullité du rapport d'expertise pour partialité des experts et plus particulièrement du docteur ....

En cause d'appel, la société UCB PHARMA a abandonné cette demande compte tenu de la décision rendue par la cour d'appel de Versailles le 5 janvier 2006 rejetant sa demande de récusation de l'expert M. ... malgré les maneements de celui-ci au devoir de réserve résultant de ses publications.

Il convient de lui en donner acte.

Certes la société UCB PHARMA a sollicité à de nombreuses reprises la récusation de l'expert, M. ..., puis a conclu à la nullité du rapport du collège d'experts mais cette multitude de demandes s'explique par le nombre des instances en cours relatives aux demandes d'indemnisation des victimes du distilbène et non à un acharnement procédural à l'encontre de chaque demandeur.

Par ailleurs, dans son arrêt du 5 janvier 2006, la cour d'appel de Versailles a confirmé la décision du juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Nanterre rejetant la demande de récusation du docteur ... mais a relevé des manquements déontologiques au devoir de réserve qui oblige tout expert, caractérisés en l'espèce en ces termes . "il est certes regrettable que le docteur ... alors qu'il est en charge .... à raison de sa compétence notoire dans ce domaine scientifique, de missions d'expertise dans des dossiers graves tant sur le plan humain qu'économique, se prévale de sa qualité d'expert judiciaire pour véhiculer ses idées et ses opinions personnelles sur un ton souvent excessif et se défendre contre ce qu'il estime être des attaques personnelles alors qu'il ne s'agit que de l'exercice d'un droit par ceux qui demandent sa récusation ou critiquent ses avis dans des débats judiciaires".

L'attitude du docteur ..., dont ni les victimes ni la société UCB PHARMA' ne sont responsables, explique les contestations émises par cette dernière qui pouvait craindre une certaine partialité de cet expert.

En exerçant le droit qui appartient à tout justiciable dé contester la validité d'un rapport d'expertise et en exerçant son droit d'appel, la société UCB PHARMA n'a commis aucun abus de droit et ce d'autant qu'elle a tiré les conséquences de l'arrêt rendu par la cour d'appel de Versailles pour abandonner sa demande de nullité du rapport d'expertise en cause d'appel.

La demande en dommages-intérêts de ce chef doit être rejetée. - Sur la responsabilité de la société UCB PHARMA

Il est établi et non contesté par la société UCB PHARMA qu'un traitement par distilbène a été prescrit à Y. ... à compter du 2 septembre 1969 jusqu'au lame mois de grossesse alors qu'elle était enceinte de Sylvie.

Compte terni des circonstances dans lesquelles S. ... épouse ... a été atteinte, il convient de rechercher la responsabilité de la société UCB PHARMA non sur le fondement contractuel mais sur un fondement délictuel par application des articles 1165; 1382 et 1383 du code civil selon lesquels les tiers à un contrat sont fondés à invoquer tout manquement du débiteur contractuel lorsque ce manquement lèur, a causé un dommage, sans avoir à rapporter d'autre preuve, étant précisé que la commercialisation du produit repose bien sut une succession de contrats, peu important qu'il n'existe pas de lien contractuel direct entre le laboratoire et la patiente à laquelle le traitement est prescrit Selon le rapport d'expertise médicale du collège d'experts désignés le 10 septembre 2002, il ressort de la littérature médicale, qu'une expositiOn in, utero au DES peut entraîner des problèmes d'infertilité et notamment conduire à des anomalies tubaires telles que celles présentées par S. ... même si certains facteurs concourent à un amoindrissement, de la démonstration causale tenant à la proportion sans doute faible de filles exposées qui développent effectivement des anomalies tubaires et au fait qu'il est difficile de pratiquer des hystérosalpingographies et a fortiori des coelioscopies à titre (l'examen gystématique lors d'un suivi épidémiologique. Par ailleurs, les praticiens ont été plus soucieux de surmonter les problèmes d'infertilité que d'en faire un inventaire statistique.

Néanmoins, les experts relèvent, dans différentes études, la preuve stiffisante d'Un lien entre l'exposition in utero au distilbène et les problèmes d'infertilité rencontrés par S. ... en ces termes "de nombreuses sources tertiaires considèrent comme une évidence acquise que l'exposition in utero au DES expose au risque d'infertilité c'est le cas du manuel récent de Briggs et coll 2002 qui fournit une bibliographie synthétique sur le sujet, et de la dernière mise à jour de I 'AFSSAPS adressée aux prescripteurs. L'investigation la plus démonstrative nous parait être celle de Herbst et co111980 qui porte sur plus de 400 filles issues de mères incluses dans la fameuse étude de Dieckman et coll (1953), de près de 30 ans antérieure, et qui,visait à évaluer, en double aveugle, l'efficacité du DES chez les femmes enceintes. Certes on ne peut considérer que la répartition exposées/non exposées qui en résulte pour les filles ait été faite selon le principe du tirage au sort (randomisation) mais il est frappant que quels que soient les sous-groupes considérés ....les infertilités se retrouvent plus fréquemment chez les filles exposées in utero au distilbène que chez celles non exposées ; c 'est de nouveau la robustesse de cette tendance qui lui confère sa signification clinique. Ces résultats sont confirmés par plusieurs mises à jour des mêmes auteurs."

Les experts précisent que les_mécanismes présumés des infertilités liées à une exposition in utero au DES ont fait l'objet de nombreuses études dont celle de Cabau en 1984 qui a déterminé que les stérilités primaires sont dues à des anomalies du cycle menstruel retrouvées par Herbst et coll, des anomalies cervicales en rapport avec des traitements trop agressifs de l'adénose cervicale elle-même liée au DES, à des anomalies tubaires. Dans l'étude de Herbst (Senekjian et coll 1988) c'est dans le sous-groupe des sujets ayant subi une laparotomie ou une laparoscopie qu'apparaît la différence la plus nette entre exposées et non exposées, des anomalies tubaires étant retrouvées chez 42 % des 24 filles exposées et chez aucune des 9 filles non exposées. De même De Cherney et coll (1981) rapportent leurs observations à partir de coelioscopies pratiquées sur 16 femmes exposées in utero au DES et indiquent que les anomalies tubaires comportent une paroi amincie et irrégulière, un pavillon mal développé, rabougri voire absent, enfin un orifice tubaire en tête d'épingle.

Si, pour des spécialistes de la iatrogénie, il n'est jamais possible de prétendre qu'il existe un rapport de causalité certain entre une exposition médicamenteuse et une complication quelle qu'elle soit, il résulte néanmoins des recoupements opérés (compatibilité de son tableau radiologique avec les anomalies tubaires réputées associées au DES et absence de toute autre cause comme une infection génitale) que la causalité est probable entre l'exposition in utero au DES de S. ... épouse ... et les anomalies tubaires responsables de son infertilité.

Selon le rapport général d' expertisé dresse par le collège de quatre exPerts désignés en septembre 1994, avant 1969, et dès les années 1953-1954, les doutes sur l'efficacité du distilbène dans l'indication d'avortement spontané et la littérature expérimentale qui faisait état de la survenance de Cancers très divers auraient dû justifier une attitude différente du laboratoire UCB. En effet les études expérimentales chez l'animal (Lacassagne, et al.1938 et Gabriel-Robez et al.1967) ont trouvé des effets. défavorables,. cancers ou malformations comme "des fentes palatines et des anomalies cardiaques. D'autres. études sur l'animal en 1942, 1947, 1950, 1952, 1959, bien que leurs conclusions ne soient pas à l'époque directement transposables à l'homme, qui avaient révélé des effets toxiques généraux y compris des effets tératogènes, auraient du conduire le laboratoire UCB d'une part, à surveiller l'efficacité de son produit d'autre part, à poursuivre les recherches sur ses conséquences à plus ou moins long terme sur les femmes auxquelles le médicament était prescrit.

Malgré les doutes portant à la fois sur l'efficacité du distilbène et sur son innocuité dont la littérature expérimentale faisait état, la société UCB PHARMA n'a pris aucune mesure alors qu'elle aurait dû agir même en présence de résultats discordants quant aux avantages et inconvénients. En méconnaissant les avertissements contenus dans la littérature médico-scientifique de 1939 à 1969, elle a manqué à son obligation de vigilance, attitude constitutive d'une faute de nature à engager sa responsabilité.

Il est ainsi établi par des présomptions graves, précises et concordantes que le distilbène, produit dont la société UCB PHARMA a fautivement maintenu la distribution destinée aux femmes enceintes, a provoqué les malformations dont S. ... épouse ... est atteinte.

Le jugement déféré sera confirmé, par adoption de motifs pour le surplus, en ce qu'il a déclaré la société UCB PHARMA responsable sur le fondement des articles 1165, 1382 et 1383 du code civil de l'infertilité dont est atteinte S. ... épouse ....

- Sur les demandes de S. ... épouse ...

Il résulte du rapport des experts judiciaires, le professeur ..., le docteur ... et le docteur M. ..., dont les conclusions seront retenues par la cour dans la mesure où elles procèdent d'une analyse complète, claire et minutieuse et ne sont remises en cause par aucune pièce médicale contraire que

S. ... épouse ..., exposée in utero au distilbène pris par sa mère, présente des anomalies tubaires à l'origine de l'infertilité dont elle souffre

- l'incapacité temporaire totale correspond aux coelioscopies de 1995 et 1996 soit 30 jours au total et aux contraintes de la fécondation in vitro soit 10 jours à chaque tentative l'incapacité permanente partielle est de 15 % le pretium doloris est évalué à 3/7

pas de préjudice esthétique décelable

· pas de préjudice d'agrément.

Sur la base de ces conclusions et au vu des pièces' produites aux débats, le préjudice subi par S. ... épouse ... doit être indemnisé comme suit

1/ PRÉJUDICE SOUMIS A RECOURS

- au titre des frais médicaux

, La créance de la CPAM du Var s'élève à la somme de 909.83 euros.

- au titre de l'ITT

S. ... épouse ... a du interrompre ses activités lors des coelioscopies puis lors des tentatives de fécondation in vitro. Elle n'exerçait alors aucune activité salariée et ne subit donc aucun préjudice économique.

Pendant la période d'incapacité temporaire totale inférieure à 90 jours, S. ... épouse ... n'a pas été en mesure de se livrer à ses activités habituelles. Elle a subi un préjudice du fait de la perte des joies habituelles de la vie courante.

Le tribunal lui a justement alloué la somme de 2.000 euros.

- au titre de L'IPP

Les experts ..., ... et ... ont retenu un taux de 15 %.

Les experts ont relevé que S. ... épouse ... présente une stérilité primaire accessible aux techniques d'assistance médicale à la procréation.

S. ... soutient que les experts, dans d'autres rapports d'expertise postérieurs, ont retenu pour des séquelles identiques un. taux de 25 %. Toutefois, la lecture du rapport concernant une autre patiente révèle que les anomalies morphologiques ne sont pas identiques et qu'elles ont également pour conséquence la nécessité pour la jeune femme de renoncer à toute nouvelle grossesse, alors que d'autres grossesses sont possibles pour S. ....

C'est à juste titre que le tribunal a retenu le taux de 15 % proposé par les experts dans leur rapport du 31 août 2004.

L'IPP sera justement indemnisée à hauteur de 27.000 euros à partir d'une valeur du point de 1.800 euros.

Le préjudice soumis à recours des organismes sociaux s'élève à la somme de 29.909,83 euros.

2/ PRÉJUDICE A CARACTÈRE PERSONNEL

- au titre du préjudice spécifique de contamination


Se fondant sur la jurisprudence relative à l'indemnisation des transfusés contaminés par le virus du SIDA'ou de l'hépatite C qui a dégagé un nouveau concept de préjudice; le préjudice spécifique de contamination, S. ... épouse ... sollicite P indernnisation d'un préjudice spécifique d'exposition in utero au DES incluant les souffrances morales éprouvées à la suite des traitements nécessaires mais également l'angoisse d'une récidive qui n'est jamais exclue et les souffrances quotidiennes eu plan affectif et moral.

Sans aucunement méconnaître la souffrance morale de S. ... épouse ..., qui a craint de ne pouv,oir avoir d'enfants et qui a du se résoudre à plusieurs fécondation in vitro avec les contraintes de cette technique médicale et les angoisses de ses échecs, il n'apparaît pas que l'indemnisation de ce préjudice justifie le recours à la notion de préjudice spécifique.

En effet, le préjudice spécifique de contamination se définit comme le préjudice résultant pour une victime de la connaissance de sa contamination par un agent exogène, qu'il soit biologique, physique ou chimique, qui comporte le risque d'apparition à plus Ou" moins brève-échéance d'une pathologie mettant en jeu le pronostic vital. C'est ainsi qu'il a été retenu par la jurisprudence notamment pour les victimes transfusées contaminées par le virus du SIDA. Il inclut, dès la phase de séropositivité, tous les troubles psychiques subis du fait de la contamination (réduction de l'espérance de vie, incertitude quant à l'avenir, crainte d'éventuelles souffrances physiques et morales, isolement, perturbations de la vie familiale et sociale, préjudice sexuel et de procréation) mais également les différents préjudices personnels apparus ou susceptibles d'apparaître comme les souffrances endurées, le préjudice esthétique et le préjudice d'agrément. Le préjudice spécifique de contamination regroupe en réalité l'ensemble des préjudices d'ordre physiologique, psychologique et moral et permet d'indemniser l'entier préjudice des victimes qui sont menacées par une maladie grave mais dont les effets se développeront au terme d'une période dont la durée, qui peut être très longue, est au départ indéterminée.

Le préjudice spécifique de contamination tend à prendre en compte des dommages particuliers comme la réduction de l'espérance de vie avec les angoisses liées à une mort quasiment programmée, les perturbations affectives, familiales et sociales dans les conditions d'existence de la victime ainsi que -lé caractère essentiellement évolutif des dommages qui ne peuvent être indemnisés selon l'évaluation de droit commun qui suppose un dommage avéré et un état de consolidation.

' Or en l'espèce, les anomalies morphologiques dont souffre S. ... épouse ... sont connues et ne vont pas inexorablement évoluer.

Par ailleurs, tous les enfants exposés in utero au DES n'ont pas été atteints de maladie ou de malformations. Il n'existe donc pas un préjudice résultant du seul fait de l'exposition au DES. Les effets néfastes de ce médicament ne sont apparus que chez certaines personnes et sont très divers dans leurs manifestations de sorte qu'on ne peut retenir la notion générale d'exposition au distilbène pour justifier une indemnisation qui ne peut concerner que celles qui sont effectivement victimes de pathologies ou de malformations.

Les différents préjudices subis par S. ... épouse ... peuvent être indemnisés selon les critères habituels en matière de réparation du préjudice corporel ce qu'elle ne conteste d'ailleurs pas puisqu'elle sollicite, outre la réparation de ce préjudice spécifique d'exposition in utero, celle des préjudices personnels couramment retenus.

En réalité sous le terme de préjudice spécifique d'exposition in utero, S. ... épouse ... sollicite la réparation de son préjudice moral, lequel est incontestable et peut être indemnisé au titre du préjudice de la douleur.

- au titre du préjudice de la douleur physique et de la souffrance morale Les experts ont fixé le pretium doloris à 3/7.

Au titre des douleur physiques, S. ... épouse ... a subi des examens pénibles et plusieurs tentatives de fécondation in vitro.

A ces douleurs physiques s'ajoutent des souffrances morales qui sont la conséquence directe de l'exposition in utero an DES.

En effet, S. ... épouse ... a pris la décision de recourir à une fécondation in vitro. Elle n'a été enceinte qu'après deux tentatives infructueuses inévitablement vécues avec une grande crainte et une incertitude sur sa capacité à-être mère. Ses deux grossesses se sont déroulées normalement sur le plan physiologique mais elle n'a pu vivre l'attente de ses enfants dans des conditions normales, faisant face au quotidien à la peur d'une fausse-couche ou d'une naissance prématurée.

Ce préjudice sera indemnisé par l'octroi de la somme de 10.000 euros. - au titre du préjudice de procréation

S. ... épouse ... présente des anomalies tubaires qui la rendent infertile. Certes les techniques médicales lui ont permis de mettre au monde deux enfants. Néanmoins, cette infertilité a imposé au couple une assistance médicale à la procréation particulièrement difficile à vivre avec des contraintes importantes qui ont inévitablement eu des retentissements sur leur vie sexuelle.

S'agissant d'une jeune femme, ce préjudice sera indemnisé à hauteur de 10.000 euros.

- au titre du préjudice esthétique

Les experts n'ont retenu aucun préjudice esthétique. Il n'est nullement établi que la naissance par césarienne de la première enfant soit la conséquence de l'exposition in utero au DES. Seule la cicatrice ombilicale de coelioscopie peut être retenue. Toutefois, faute d'indication sur la taille de cette cicatrice et son aspect, la cour de ne peut faire droit à la demande de ce chef.

- Sur les demandes de Y. ... au titre de son préjudice moral par ricochet

Y. ..., mère de S. ... épouse ..., sollicite la réparation de son préjudice moral d'affection, confrontée à la souffrance de sa fille lors des examens médicaux et tout au long de ses grossesses.

Il s'agit là d'une demande qui ne peut être fondée que sur les articles 1382 et 1383 du code civil bien qu'aucun fondement juridique ne soit précisé dans les dernières conclusions.

Il n'est pas contestable que la mère de S. ... épouse SCHAH', qui accompagne, soutient, aide sa fille dans l'épreuve qui est la sienne, subit un préjudice moral par ricochet dont la société UCB PHARMA ne conteste d'ailleurs pas l'existence.

Ce préjudice sera justement indemnisé par l'octroi de la somme de 2.000 euros. - Sur la demande de Y. ... au' titre de son préjudice moral propre

Y. ... soutient qu'elle a été le vecteur d'un dommage corporel grave sur sa propre descendance, qu'elle a été en lien avec le fabricant UCB PHARMA lequel est contractuellement débiteur d'une obligation de sécurité de résultat à son égard. Elle ne précise toutefois pas le fondement juridique de sa demande au titre de son préjudice moral propre.

Sa demande est recevable sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle de la société UCB PHARMA.

Il ne peut être contesté que Yolande -GONTHIER subit un préjudice mol-al personnel certain puisqu'elle porte, comme elle l'indique dans ses écritures, le poids d'une, terrible culpabilisation consistant à avoir absorbé au cours de la grossesse un médicament qui devait l'aider à donner la vie, lequel s'est révélé 30 ans plus tard comme la cause d'une anomalie morphologique grave compromettant les possibilités de procréation de sa fille.

Ce préjudice sera réparé par l'octroi d'une somme de 2.000 euros. - Sur la demande d'expertise concernant Y. ...

Les experts ont relevé que l'enfant Y. ... présente un hypospadias. Il a déjà subi une intervention chirurgicale en mai 2005.

Certains auteurs s'interrogent sur l'existence d'éventuelles séquelles de l'exposition au DES pour la troisième génération.

Il convient dès lors de faire droit à la demande d'expertise médicale, par, infirmation de ce chef du jugement déféré.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire, en dernier ressort,

Constate que la société UCB PHARMA a abandonné sa demande de nullité du rapport d'expertise,

Déboute les consorts ... de leur demande endommages-intérêts pour abus du droit d'agir en exception de nullité du rapport d'expertise,

Confirme le jugement déféré en ce qu'il a retenu la responsabilité de la société '4 UCB PHARMA et a alloué aux consorts ... une indemnité sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,

-12

Infirme le jugement déféré sur le quantum des sommes allouées, Statuant à nouveau, Fixe l'indemnité due à S. ... épouse ... comme suit 11 Préjudice soumis à recours

- frais médicaux 909,83 euros

- ITT (troubles dans la vie courante) 2.000,00 euros

- IPP 15 % 27 000,00 euros

- Total 29.909,83 euros

21 Préjudice personnel

- préjudice de la douleur physique et de la souffrance morale. 10.000,00 euros

- préjudice sexuel - 10 000,00 euros

- Total 20.000,00 euros

15 à n'y-avoir lieu à fixationd'un pféjudice spécifique drekpbsition hi utero att DES,

Condamne la société UCB PHARMA à payer à S. ... épouse ... la somme de 49.000 euros en réparation de son préjudice corporel déduction faite de la créance de la CPAM du Var,

Condamne la société UCB PHARMA à payer à Y. ... la somme de 2.000 euros en réparation de son préjudice moral personnel et la somme de 2.000 euros en réparation de son préjudice moral par ricochet,

Ordonne une mesure d'expertise sur l'enfant Y. ... et commet pour y procéder le Docteur J. ... - Hôpital de Mantes - MANTES LA JOLIE (Tél. 01.34.97.40.90) et le Professeur O. ... - ... ... J. NANTES CEDEX 01 (Tél. xx xx xx xx xx et 02.40.84.62.46) avec pour mission de

-. convoquer les parties par lettre recommandée avec accusé de réception, - examiner l'enfant Y. ...,

- dire si les handicaps dont souffre l'enfant Yohann né le 1" juillet 2003 est en lien probable avec l'exposition au DES de sa mère,

- décrire son état de santé actuel et l'évolution de ses séquelles,

- dire quelles ont été les conséquences pour l'enfant Yohann SCHATT (ITI, ITP, IPP, pretium doloris, préjudice d'agrément, préjudice esthétique),

- fournir à la Cour tous renseignements utiles sur l'évolution de la maladie relativement à la possibilité d'une éventuelle consolidation définitive ou à l'inverse d'un pronostic défavorable avec dans ce dernier cas l'incidence d'un préjudice moral lié à la stérilité définitive et l'angoisse d'une rechute,

- chiffrer par référence au barème indicatif des déficits fonctionnels séquellaires en droit commun le taux d'incapacité permanente partielle,

- dire si des soins postérieurs à la consolidation sont nécessaires, en indiquer la nature, la quantité, la nécessité éventuelle de leur renouvellement et sa périodicité,

- décrire les souffiances physiques, psychiques ou morales endurées du fait de la pathologie subie en y incluant les éventuels troubles ou douleurs postérieurs à la consolidation dans la mesure où ils n'entraînent pas le déficit fonctionnel proprement dit, les évaluer selon l'échelle habituelle de 7 degrés,

- donner un avis Sur l'existence, la nature et l'importance des préjudices esthétique et psychologique, les évaluer selon l'échelle habituelle de 7 degrés, indépendamment de l'éventuelle atteinte fonctionnelle prise en compte au titre du déficit,

- lorsque la victime allègue l'impossibilité de se livrer à des activités spécifiques de loisirs, donner un avis médical sur cette impossibilité et son caractère définitif, sans prendre position sur l'existence ou non d'un préjudice afférent à cette allégation,

- dire que lors de la première ou au plus tard lors de la deuxième réunion des parties-,-1' expert - dressera un programme de ses investigations et évaluera d'une manière aussi précise que possible le montant prévisible de ses honoraires et débours,

-dire qu'à l'issue de cette réunion, l'expert fera connaître au magistrat chargé des opérations d'expertise la somme globale qui lui paraît nécessaire pour garantir en totalité le règlement de ses honoraires et de ses débours et solliciter, le cas échéant, le versement d'une consignation complémentaire,

- dire que l'expert pourra s'il le juge nécessaire se faire assister de sapiteurs d'une autre spécialité que la sienne,

- désigner tel magistrat chargé de la mise en état pour contrôler l'expertise ordonnée,

- dire que l'expert ou le collège d'experts devra déposer un pré-rapport dans un délai de six semaines,

- dire que l'expert ou le collège d'experts devra déposer au greffe des expertises de la Cour d'Appel de Versailles le rapport de ses opérations dans un délai de quatre mois à compter de la saisine par le greffe, sauf prorogation dûment autorisée et qu'il en délivrera lui-même copie à chacune des parties en cause et un second original à la Cour d'Appel de Versailles,

- dire qu'en cas d'empêchement, refus ou négligence, l'expert commis pourra être remplacé par ordonnance rendue sur simple requête présentée,

Dit que la société UCB PHARMA devra consigner avant le 15 février 2007 la somme de 1.000 euros à valoir sur la rémunération de l'expert au greffe de la cour d'appel de Versailles,

Condamne la société UCB PHARMA à payer aux consorts ... ... ... la somme de 7.000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile pour la procédure d'appel,

Condamne la société UCB PHARMA aux dépens de première instance et d' appel, incluant les frais d'expertise avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP TUSET CHOUTEAU, avoués, conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.

- prononcé par Mise à disposition de l'arrêt au greffe dè la cour, les 'parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau code de procédure civile.

- signé par Madame B. ..., président et par Madaine THEODOSE, greffier, auquel le magistrat signataire a rendu la minute.

' .

Le GREFFIER, Le PRÉSIDENT,

11//112(2Z

CJv

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