RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
'5ème Chambre C ARItET DU 26 Octobre 2006
(n' , 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général S 05/12963
Décision déférée à la Cour jugement rendu le 19 Mai 2005 par le Tribunal de Grande Instance de PARIS RG n° 04/12764
APPELANT
SYNDICAT UGICT CGT AIR FRANCE représenté par son secrétaire dûment mandaté
ROISSY CHARLES DE GAULLE
représenté par Me Chantal BODIN-CASALIS, avoué â la Cour,
assisté de Me Paul BOUAZIZ, avocat au barreau de PARIS, et de Me I. ...,
avocat au barreau de PARIS, (P215)
INTIMÉE
SOCIÉTÉ AIR FRANCE prise en la personne de ses représentants égaux 45 rue de Paris
ROISSY CHARLES DE GAULLE
représentée par Me Frédéric BURET, avoué à la Cour,
assistée de Me Baudouin DE MOUCHERON, avocat au barreau de PARIS,(T03)
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 28 Septembre 2006, en audience publique, devant la Cour composée de
Madame Catherine TAILLANDIER, Présidente
Madame Catherine METADIEU, Conseillère
Madame Catherine BEZIO, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffière Mademoiselle Céline MASBOU, lors des débats
MINISTÈRE PUBLIC
L'affaire a été communiquée au ministère public, représenté lors des débats par
Monsieur D. ..., qui a fait connaître son avis.
ARItET
- contradictoire
- prononcé publiquement par Madame Catherine TAILLANDIER, Présidente
- signé par Madame Catherine TAILLANDIER, Présidente et par Mademoiselle
Céline MASBOU, Greffière présente lors du prononcé.
LA COUR,
Statuant sur l'appel formé par le syndicat UGICT CGT AIR FRANCE d'un jugement rendu le 19 mai 2005 par le Tribunal de Grande Instance de BOBIGNY qui l'a débouté de ses demandes et l'a condamné au paiement de la somme de 1 200 euros au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Vu les conclusions, signifiées le 7 octobre 2005, par le Syndicat UGICT CGT AIR FRANCE, appelant, qui demande à la Cour de
Vu le décret du 11 juillet 1991
Vu les articles LA11-11, L.122-42 et L.122-45 du Code du Travail
- infirmer le jugement entrepris
- juger que jusqu'au mois de mai 2003, alors que la compagnie AIR FRANCE a appliqué loyalement le décret du 11 juillet 1991, elle en viole, depuis cette date, les dispositions en retirant systématiquement un trentième de salaire au personnel navigant commercial qui, ne sentant pas apte, refuse d'effectuer un vol en raison de sa destination
- enjoindre à la S.A. AIR FRANCE de respecter les dispositions du décret du 11 juillet
1991
- lui enjoindre de rétablir les salariés concernés dans leurs droits en rectifiant les fiches de Paie
- assortir cette injonction d'une astreinte définitive de 500 euros par infraction constatée - condamner la S.A. AIR FRANCE à lui verser les sommes de
· 10 000 euros de dommages-intérêts
· 5 000 euros au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,
- condamner l'intimée au paiement des dépens de première instance et d'appel avec faculté de recouvrement en faveur de Maître ..., avoué, conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Vu les conclusions de la S.A. AIR FRANCE, signifiées le 15 décembre 2005, qui demande à la Cour de
- confirmer le jugement entrepris
- l'accueillir en son appel incident
- infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande reconventionnelle en dommages-intérêts Statuant à nouveau,
- condamner le Syndicat UGICT CGT AIR FRANCE au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel avec faculté de recouvrement en faveur de Maître ..., avoué, conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Monsieur l'avocat général ayant été entendu en ses observations orales ;
SUR CE LA COUR
La Cour a autorisé le syndicat UGICT CGT AIR FRANCE, qui en a formé la demande, à lui adresser, suite aux observations présentées par Monsieur L. P. ..., une note en délibéré, ce qu'il a fait le 2 octobre 2006, après en avoir communiqué la copie à la S.A. AIR FRANCE.
Le Syndicat UGICT CGT AIR FRANCE, aux termes de ses conclusions, fait valoir que, jusqu'en mai 2003, la compagnie AIR FRANCE accordait aux personnels navigants commerciaux - PNC - comme aux personnels navigants techniques - PNT -, l'autorisation, conformément aux dispositions de l'article 3.1.3 du décret de 1991, de ne pas effectuer un vol lorsqu'ils ne se sentaient pas aptes à le faire, et ce sans leur faire subir de diminution de salaire.
Cour d'Appel de Paris
18ème Chambre, section C
ARRÊT DU 26/10/2006 RG n'05/12963 - 2ème page
Depuis cette date, la S.A. AIR FRANCE retire systématiquement un trentième de salaire par vol refusé, même lorsque le salarié attend en réserve depuis quelques heures.
Le syndicat soutient que le mécanisme mis en place par le décret n'a pas pour objet de protéger le salarié mais a pour vocation d'assurer la sécurité des vols, et que la position de la compagnie conduit le salarié à privilégier le versement de son salaire au détriment de sa sécurité et de celle des autres, alors même qu'il n'est pas en mesure psychologiquement d'assurer le vol.
Le Syndicat UGICT CGT AIR FRANCE, en deuxième lieu, expose que le retrait d'un trentième constitue une sanction pécuniaire illicite et enfin qu'il a un caractère discriminatoire compte tenu de ce que
- la S.A. AIR FRANCE a mis en place un système de planification pour le personnel navigant technique mais pas pour le personnel navigant commercial et de ce qu'aucune diminution de salaire n'est imposée au personnel navigant technique
- cette distinction constitue une discrimination indirecte à l'encontre des femmes (4,48 % des personnels navigants techniques contre 65,25 % des personnels navigants commerciaux) Dans sa note en délibéré, le syndicat UGICT CGT AIR FRANCE conteste l'argumentation selon laquelle l'employeur n'ayant aucun moyen de contrôle de la déficience invoquée, la retenue sur salaire permet d'assurer une utilisation raisonnable de l'article 3.1.3 du décret permettant ainsi un équilibre entre droits du salarié et les obligations de sécurité ainsi que d'organisation d'entreprise aux motifs que
- cela revient à faire supporter au salarié l'insuffisance supposée de la réglementation,
- l'employeur ala possibilité, sous le contrôle du juge, d'invoquer un éventuel abus de droit imputable au salarié
- le problème ne se pose pas en termes généraux, à propos de toutes les situations de déficience mais uniquement dans le contexte particulier de certains vols pour une destination considérée comme angoissante pour le salarié.
La S.A. AIR FRANCE réplique que c'est suite à la reprise des vols en direction d'Alger à compter du 28 juin 2003 que le Syndicat UGICT CGT AIR FRANCE, après avoir en vain invoqué les dispositions de l'article L.231-8 du Code du Travail, relatives au droit de retrait, a informé les personnels navigants commerciaux de la possibilité de se prévaloir du décret du 11 juillet 1991.
Elle fait valoir que ce décret qui a pour finalité de protéger (sous réserve de l'abus de droit) les personnels navigants qui l'invoquent, ne lui impose pas de les rémunérer.
Elle déclare qu'il n'existe aucune pratique contraire au sein de l'entreprise à laquelle elle aurait mis fin de manière subite en 2003.
La S.A. AIR FRANCE soutient que l'amende ou sanction pécuniaire prohibée par l'article L.122-42 du Code du Travail est constituée par une retenue sur salaire non justifiée par une période d'inactivité, que tel n'est pas le cas, que la seule différence de traitement entre salariés d'une même entreprise, en l'espèce personnel navigant commercial et personnel navigant technique ne constitue pas une discrimination illicite, soulignant de surcroît qu'elle applique la diminution de salaire à tous les personnels concernés sans opérer de distinction entre homme ou femme.
Elle conteste également avoir une quelconque obligation de mise en place d'un système de réserve.
L'article 3. L de l'annexe I du décret du 11 juillet 1991 a pour objet, selon son intitulé,
"la protection des personnes et des biens" .
Il est précisé
"3.1.1. Négligence ou imprudence dans la conduite des aéronefs.
Un aéronef ne doit pas être conduit d'une façon négligente ou imprudente pouvant entraîner un risque pour la vie ou les biens des tiers.
3.1.2. Usage de boissons alcoolisées, de narcotiques, de stupéfiants ou de médicaments.
Nul ne doit piloter un aéronef ou ne doit assurer une fonction de membre de l'équipage de
Cour d'Appel de Paris
18ème Chambre, section C
ARRÊT DU 26/10/2006 RG n'05/12963 - 3ème page
conduite d'un aéronef s'il se trouve sous l'influence de boissons alcoolisées, de narcotiques, de stupéfiants ou de médicaments qui puissent compromettre les facultés nécessaires à l'exercice de ses fonctions
3.1.3. Fatigue des équipages.
Tout membre d'équipage doit s'abstenir d'exercer ses fonctions dès qu'il ressent une déficience quelconque de nature à lui faire croire qu'il ne remplit pas les conditions d'aptitude nécessaires à l'exercice de ses fonctions".
Selon ces dispositions, il incombe aux compagnies aériennes de prendre toute mesure propre à assurer la protection des biens et des personnes, passagers transportés et personnel, sans distinguer entre navigants techniques et navigants commerciaux, l'objectif étant de garantir la sécurité à bord des avions.
L'article 3.1.3 crée pour le salarié une obligation de s'abstenir de voler dès qu'il ressent un état de fatigue tel qu'il n'est plus en possession de tous ses moyens, ce qui pourrait avoir pour effet de mettre en danger, non seulement les passagers, mais encore ses collègues de travail.
Peu importe la nature de la déficience ressentie, qui peut être physique mais aussi d'ordre psychologique, comme a pu le constater le médecin du travail, à l'occasion de vols à destination de pays où certains salariés, craignant pour leur propre sécurité, ressentent stress et/ou angoisse.
En tout état de cause, le salarié, qui s'abstient de voler, doit demeurer, ainsi que cela est reconnu par chacune des parties, à la disposition de l'employeur qui a, seul, la responsabilité ainsi que le pouvoir d'organiser ses conditions de travail, et par suite de lui attribuer une affectation adaptée.
Il en résulte que le dispositif mis en place par le décret du 11 juillet 1991 crée un risque à la charge de la compagnie aérienne.
Il appartient donc à la S.A. AIR FRANCE d'en assumer les conséquences financières, rien ne l'autorisant à opérer une retenue sur le salaire du personnel navigant conunercial qui s'abstient d'exercer ses fonctions à la suite d'une déficience.
De plus, la S.A. AIR FRANCE opère une différence de traitement entre personnel navigant technique et personnel navigant commercial.
En effet, aucune retenue sur salaire n'est effectuée sur le salaire des personnels navigants techniques contrairement au personnels navigants commerciaux auxquels est retiré un trentième de salaire.
La S.A. AIR FRANCE invoque le fait que la prime horaire de vol n'est pas versée au personnel navigant technique qui s'abstient de voler en vertu de l'article 3.1.3 du décret.
Mais la rémunération du personnel navigant technique comprend, aux termes du règlement dont il relève, un salaire fixe, des primes de vol, "variables selon la spécialité et l'appareil", selon les propres conclusions de la S.A. AIR FRANCE, ainsi que des primes annuelles.
Rien ne justifie le fait que le salaire fixe des personnels navigants techniques ne soit pas diminué comme celui des personnels navigants commerciaux, l'argument selon lequel le salarié subit également une baisse de rémunération du fait du non-paiement de la prime horaire de vol étant inopérant dès lors, qu' en toute hypothèse, n'assurant pas effectivement un vol, il ne peut réclamer le versement d'une prime déterminée notamment en fonction du type d'avion.
A. ... ..., pilote de ligne commandant de bord, atteste d'ailleurs n'avoir subi ni reproches ni retenues financières, alors même qu'il a demandé à ne plus être "programmé sur des vols touchant l'Algérie".
Il convient au vu de ce qui précède d'infirmer le jugement entrepris et d'ordonner à la S.A. AIR FRANCE de respecter les dispositions du décret du 11 juillet 1991 en s'abstenant de retirer un trentième de salaire au personnel navigant commercial qui s'abstient de vol en application de l'article 3.1.3 de ce décret, sans que soit ordonnée la mesure d'astreinte sollicitée qu'aucune circonstance particulière ne justifie.
Cour d'Appel de Paris
18ème Chambre, section C
ARRÊT DU 26/10/2006 RG n°05/12963 - 4ème page
Le non-respect par la S.A. AIR FRANCE de ses obligations telles que résultant des dispositions du décret du 11 juillet 1991 a nécessairement causé au syndicat UGICT CGT AIR FRANCE un préjudice qui sera justement réparé par l'allocation de la somme de 3 000 euros.
L'équité com mande qu'il soit application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile en faveur de l'appelant.
PAR CES MOTIFS
INFIRME le jugement entrepris
STATUANT à nouveau,
ORDONNE à la S.A. AIR FRANCE de respecter les dispositions du décret du 11 juillet
1991 en s'abstenant de retirer un trentième de salaire au personnel navigant commercial qui s'abstient de vol en application de l'article 3.1.3 de ce décret
CONDAMNE la S.A. AIR FRANCE à payer au syndicat UGICT CGT AIR FRANCE les sommes de
· 3.000 euros (trois mille euros) à titre de dommages-intérêts
· 2.000 euros (deux mille euros) au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile
DÉBOUTE le syndicat UGICT CGT AIR FRANCE du surplus de ses demandes
CONDAMNE la S.A. AIR FRANCE aux dépens de première instance et d'appel, ces derniers pouvant être recouvrés par Maître ..., conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE
Cour d'Appel de Paris
!5ème Chambre, section C
ARRÊT DU 26/10/2006 RG n°05112063 - Sème page