TA Bordeaux, du 15-06-2006, n° 0602049




TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE BORDEAUX

N°0602049

PREFET DE LA GIRONDE

C/ commune de Bègles

M. Delignat-Lavaud

Vice-président

Juge des référés


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le vice-président, juge des référés


Audience du 14 juin 2006

Ordonnance du 15 juin 2006

135-01-015-03


Vu la requête, enregistrée le 2 juin 2006 sous le n° 0602049, par laquelle le préfet de la Gironde demande au président du tribunal administratif, sur le fondement de l’article L. 554-1 du code de justice administrative🏛, de suspendre l’exécution de la délibération du conseil municipal de la commune de Bègles en date du 6 avril 2006 qui a demandé à l’exécutif communal de faire figurer dans les documents des marchés publics une clause dite « du mieux-disant social » fondant la commission d’appel d’offres à évincer les entreprises soumissionnaires qui auraient recours à des « contrats nouvelle embauche » ou à des « contrats première embauche » ;

Il fait valoir que cette délibération, qui n’est pas un simple voeu, contrevient à l’article 53 du code des marchés publics et pose une règle discriminatoire, contraire aux principes de liberté concurrentielle et d’égalité de traitement des candidats à la commande publique affirmés notamment par l’article 1” du code des marchés ; que cette délibération contient, en outre, une incitation à commettre le délit de favoritisme en matière de marchés publics, prévu et réprimé par la loi pénale ;

Vu le mémoire, enregistré le 12 juin 2006, par lequel la commune de Bègles, aux écritures de Me Dirou, avocat, oppose l’absence de toute urgence établie ou même alléguée, objecte l’irrecevabilité du préfet à attaquer une simple motion politique, dont la pertinence a été, au demeurant, démontrée par l’abrogation des dispositions légales relatives au « contrat première embauche » et par la jurisprudence relative à l’inconventionnalité du « contrat nouvelle embauche », en infère l’absence de tout doute sérieux sur la légalité de l’acte pris le 6 avril 2006 par le conseil municipal de Bègles, conclut au rejet de la requête et à la condamnation « du préfet de la Gironde » à lui payer la somme de 2000 € sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative🏛 ;

Vu le mémoire, enregistré le 13 juin 2006, par lequel la commune de Bègles soutient que la délibération attaquée constitue soit un voeu, soit une mesure préparatoire et persiste dans ses conclusions ;

Vu le mémoire, enregistré le 13 juin 2006, par lequel le préfet réfute les fins de non-


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recevoir opposées à son déféré et conclut, de plus fort, à l’annulation de la délibération litigieuse ; Vu la délibération déférée à fin de suspension d’exécution et l’ensemble des pièces du dossier ;

Vu la requête au fond n° 0602050 ;

Vu la décision du 9 juin 2006 par laquelle le président du tribunal administratif a délégué à M. Michel Delignat-Lavaud, vice-président, compétence pour statuer sur les demandes de suspension sur déféré visées aux articles L. 554-1, L. 554-3 et suivants du code de justice administrative🏛 ;

Vu le code des marchés publics ;

Vu le code général des collectivités territoriales ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir, au cours de l’audience publique tenue au tribunal le 14 juin 2006, les parties ayant été dûment convoquées :

- donné lecture de son rapport ;

- informé les parties, par application de l’article R. 522-9 du code de justice administrative🏛, de ce qu’était susceptible d’être relevé d’office, à l’encontre de la légalité de la délibération litigieuse, le moyen tiré de ce que l’organe délibérant d’une collectivité locale est incompétent pour décider de mesures ayant pour objet ou pour effet de faire échec à l’application de normes nationales sur le territoire de cette collectivité ;

- entendu les observations de M. Aa pour le préfet de la Gironde et de Me Dirou pour la commune de Bègles, laquelle, ajoutant à ses moyens de défense, a fait valoir qu’à supposer le préfet recevable à déférer aux fins d’annulation une délibération ayant la valeur d’un voeu, il ne le serait qu’à invoquer les vices propres susceptibles d’entacher cette décision ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 14 juin 2006 à 15 heures, par laquelle la commune de Bègles réfute le moyen d’ordre public soulevé au cours de l’audience ;

Sur les conclusions en suspension d’exécution :

Considérant qu’aux termes de l’article L. 2131-6 alinéa 1” du code général des collectivités territoriales🏛 : « Le représentant de l’Etat dans le département défère au tribunal administratif les actes mentionnés à l’article L. 2131-2 qu’il estime contraires à la légalité dans les deux mois suivant leur transmission. (..) ; qu’aux termes du 3" alinéa du même article, repris à l’article L. 554-1 du code de justice administrative : « Le représentant de l’Etat dans le département peut assortir son recours d’une demande de suspension. Il est fait droit à cette demande si l’un des moyens invoqués paraît, en l’état de l’instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l’acte attaqué.

Considérant qu’eu égard à son contenu et nonobstant son titre, la délibération du conseil municipal de Bègles dont le préfet de la Gironde demande la suspension d’exécution possède,


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contrairement à ce que soutient la commune, une portée décisoire ; qu’en tout état de cause, le préfet, représentant de l’Etat dans le département, est recevable à déférer à la censure du juge administratif toute délibération, quel qu’en soit l’objet, émanant de l’organe délibérant d’une collectivité placée sous son contrôle ; qu’il peut obtenir du juge, ainsi que le précise l’article L. 2131-6 précité du code, la suspension d’exécution de l’acte ainsi déféré sans autre condition que celle tenant à l’existence d’un doute sérieux quant à sa légalité ; que, par suite, les fins de non- recevoir ou exceptions tirées par la commune de l’absence d’urgence et du défaut d’intérêt du préfet à attaquer une délibération ayant la valeur d’un simple voeu ou d’une mesure à caractère préparatoire, doivent être écartées ;

Considérant que les moyens d’annulation valablement tirés par le préfet de la Gironde tant de la non-conformité de la délibération litigieuse à l’article 53 du code des marchés publics que de l’atteinte portée par cette délibération aux principes de libre concurrence et d’égal accès des candidats à la commande publique sont, en l’état de l’instruction, de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de l’acte incriminé ; qu’il en va de même du moyen d’ordre public susceptible d’être tiré de ce que l’organe délibérant d’une collectivité locale est incompétent pour décider de mesures qui ont pour objet ou pour effet de faire échec, sur le territoire de cette collectivité, à l’application de normes de valeur législative ; qu’il résulte de ce qui précède que l’exécution de la délibération litigieuse doit être suspendue jusqu’à ce qu’il soit statué sur la légalité de cet acte ;

Sur l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que l’Etat, partie non perdante dans l’instance, n’encourt aucune condamnation sur le fondement dudit article,


ORDONNE:

Article 1” : L’exécution de la délibération du conseil municipal de la commune de Bègles en date du 6 avril 2006 est suspendue jusqu’à ce que le tribunal ait statué sur la requête au fond tendant à l’annulation de cet acte.

Article 2 : Les conclusions présentées par la commune de Bègles sont rejetées.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée au préfet de la Gironde et à la commune de Bègles. Copie en sera délivrée au ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire.

Fait à Bordeaux , le 15 juin 2006

Le vice-président,

juge des référés Le greffier,

M. DELIGNAT-LAVAUD S. FRECHIC

La République mande et ordonne au préfet de la Gironde en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.


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Pour expédition conforme

Le greffier en chef