CIV. 1 I.K.
COUR DE CASSATION
Audience publique du 21 février 2006
Cassation partielle
M. ANCEL, président
Arrêt n° 302 FS P+B
Pourvoi n° R 03-11.917
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant
Sur le pourvoi formé par
1°/ M. Franck Z,
2°/ Mme Nathalie ZY, épouse ZY,
demeurant Saint-Martin-de-Crau, agissant tant en leur nom personnel qu'en leur qualité d'administrateurs légaux de leur enfant mineur Maxime Z,
en cassation d'un arrêt rendu le 19 septembre 2002 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (10e chambre civile), au profit
1°/ de Mme Véronique Chabert X, domiciliée Marseille,
2°/ de M. Gérard W, domicilié Marseille,
3°/ de la Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) des Alpes Maritimes, dont le siège est Nice , défendeurs à la cassation ;
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
Vu la communication faite au Procureur général ;
LA COUR, composée conformément à l'article L. 131-6-1 du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 17 janvier 2006, où étaient présents M. Ancel, président, Mme Duval-Arnould, conseiller référendaire rapporteur, MM. Bargue, Gridel, Charruault, Mme Crédeville, M. Gallet, Mme Marais, conseillers, Mmes Cassuto-Teytaud, Gelbard-Le Dauphin, M. Creton, Mme Richard, M. Jessel, conseillers référendaires, M. Cavarroc, avocat général, Mme Collet, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Duval-Arnould, conseiller référendaire, les observations de la SCP Bachellier et Potier de La Varde, avocat des époux Z, de Me Le Prado, avocat de M. W, de la SCP Richard, avocat de Mme Chabert X, les conclusions de M. Cavarroc, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu que Mme Z est accouchée le 1er juin 1997 d'un enfant atteint d'un syndrome polymalformatif ; que les époux Z ont recherché la responsabilité de Mme ..., médecin gynécologue ayant suivi la grossesse jusqu'au mois de mars 1997 et de M. W, médecin, ayant à sa demande réalisé, le 25 février 1997, une échographie foetale ; que l'arrêt attaqué a retenu la responsabilité de Mme ..., débouté les époux Z de leurs demandes dirigées contre M. W et de leurs demandes relatives à l'indemnisation de leurs préjudices professionnels et condamné Mme ... à réparer leurs préjudices moraux ;
Sur le premier moyen, tel qu'énoncé au mémoire en demande et reproduit en annexe
Attendu que la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a relevé, d'une part, que le compte-rendu de l'échographie pratiquée par M. W indiquait très explicitement que l'examen avait été difficile, que des structures foetales n'avaient pu être observées face, artère pulmonaire, extrémités et que ces structures étaient "à revoir" et que les raisons de ces difficultés tenaient à la surcharge pondérale de Mme Z et à une mauvaise position du foetus et, d'autre part, qu'il était établi par un courrier émanant de Mme ... qu'elle avait parfaitement conscience des insuffisances de cet examen et de la nécessité de revoir les zones non visualisées ; qu'elle a pu en déduire que M. W n'avait pas commis de faute ; que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le second moyen, pris en ses deux branches, après l'avertissement prévu à l'article 1015 du nouveau Code de procédure civile
Vu l'article 1er du protocole n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article 1er de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, devenu l'article L. 114-5 du Code de l'action sociale et des familles, ensemble les articles 1165 et 1382 du Code civil ;
Attendu que pour débouter les époux Z de leurs demandes au titre de leurs préjudices professionnels, la cour d'appel a relevé qu'ils réclamaient à titre personnel l'indemnisation de leurs préjudices matériels résultant de la dégradation de leurs vies professionnelles du fait du lourd handicap de l'enfant, qu'ils avaient relié ces préjudices non à des conséquences personnelles psychiques dues au handicap de ce dernier mais aux conséquences des sujétions spéciales imposées par son état et qu'ainsi formulés ces préjudices étaient directement liés aux charges particulières découlant du handicap et ainsi exclus par la loi du 4 mars 2002 du champ de l'indemnisation, seuls les préjudices moraux des parents, privés du choix de poursuivre ou d'interrompre cette grossesse en raison de la déficience du suivi de la grossesse et du défaut d'information, pouvant être indemnisés ;
Attendu, cependant, que dès lors que la faute commise par Mme ... dans l'exécution du contrat formé avec Mme Z avait empêché celle-ci d'exercer son choix d'interrompre sa grossesse pour motif thérapeutique afin d'éviter la naissance d'un enfant atteint d'un handicap et qu'il n'était pas contesté que les conditions médicales d'une telle interruption étaient réunies, les parents pouvaient, avant l'entrée en vigueur de la loi susvisée, demander la réparation des charges particulières découlant du handicap de l'enfant tout au long de la vie, causées par la faute retenue ;
Attendu que l'article 1er-I de ladite loi, déclaré applicable aux instances en cours, énonce que "nul ne peut se prévaloir d'un préjudice du seul fait de sa naissance, que lorsque la responsabilité d'un professionnel de santé est engagée vis-à-vis des parents d'un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d'une faute caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice, que ce préjudice ne saurait inclure les charges particulières découlant tout au long de la vie de l'enfant, de ce handicap et que la compensation de ce dernier relève de la solidarité nationale" ;
Attendu, toutefois, que si une personne peut être privée d'un droit de créance en réparation d'une action en responsabilité, c'est à la condition, selon l'article 1er du protocole n° 1, à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, que soit respecté le juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général et les impératifs de sauvegarde du droit au respect des biens ; que tel n'est pas le cas en l'espèce, dès lors que l'article 1er I, en prohibant l'action de l'enfant et en excluant du préjudice des parents les charges particulières découlant du handicap tout au long de la vie, a institué un mécanisme de compensation forfaitaire du handicap sans rapport raisonnable avec une créance de réparation intégrale quand les époux Z pouvaient, en l'état de la jurisprudence applicable avant l'entrée en vigueur de cette loi, légitimement espérer que leur préjudice inclurait les charges particulières découlant tout au long de la vie de l'enfant, du handicap ; d'où il suit, ladite loi n'étant pas applicable au présent litige, que la cassation est encourue ;
PAR CES MOTIFS
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a débouté les époux Z de leurs demandes relatives à l'indemnisation de leurs préjudices professionnels, l'arrêt rendu le 19 septembre 2002, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;
Condamne Mme Chabert X aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un février deux mille six.