Cass. civ. 1, 24-01-2006, n° 02-12.260, FS-P+B, Cassation partielle.



CIV. 1                C.B.

COUR DE CASSATION

Audience publique du 24 janvier 2006

Cassation partielle

M. ANCEL, président

Arrêt n° 196 FS P+B

Pourvoi n° T 02-12.260

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant

Sur le pourvoi formé par la Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Loir-et-Cher, dont le siège est Blois Cedex,

en cassation d'un arrêt rendu le 22 octobre 2001 par la cour d'appel d'Orléans (chambre civile), au profit

1°/ de la société Le Sou médical, dont le siège est Paris ,

2°/ de M. Alain X..., demeurant (...),

3°/ de M. Jean-Pierre W..., pris tant en son nom personnel qu'en qualité d'administrateur légal de sa fille mineure, Adèle W...,

4°/ de Mme Ghislaine WV..., épouse WV..., prise tant en son nom personnel qu'en qualité d'administratrice légale de sa fille mineure, Adèle W...,

demeurant ensemble (...), défendeurs à la cassation ;

La société Le Sou médical et M. X... ont formé un pourvoi incident contre le même arrêt ;

La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, un moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;

Les demandeurs au pourvoi incident invoquent, à l'appui de leur recours, un moyen unique de cassation également annexé au présent arrêt ;

Vu la communication faite au Procureur général ;

LA COUR, composée conformément à l'article L. 131-6-1 du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 4 janvier 2006, où étaient présents M. Ancel, président, Mme Duval-Arnould, conseiller référendaire rapporteur, MM. Bargue, Gridel, Mme Crédeville, MM. Charruault, Gallet, Mme Marais, conseillers, Mme Gelbard-Le Dauphin, M. Creton, Mme Richard, M. Jessel, conseillers référendaires, M. Sainte-Rose, avocat général, Mme Aydalot, greffier de chambre ;

Sur le rapport de Mme Duval-Arnould, conseiller référendaire, les observations de Me Foussard, avocat de la Caisse primaire d'assurance maladie de Loir-et-Cher, de la SCP Richard, avocat de la société Le Sou médical et de M. X..., de la SCP Choucroy-Gadiou-Chevallier, avocat des époux W..., les conclusions non conformes de M. Sainte-Rose, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Attendu que Mme W... a donné naissance à une enfant présentant un spina-bifida avec myéloméningocèle ; que les époux W... ont engagé contre M. X..., gynécologue obstétricien qui avait suivi la grossesse, et la société Le Sou médical, son assureur, une action en réparation de leur préjudice et du préjudice subi par l'enfant du fait de son handicap ; que l'arrêt attaqué a retenu que M. X... avait commis une faute en ne prescrivant pas d'échographie morphologique au terme de 20-24 semaines alors que cet examen aurait, avec deux chances sur trois, permis la découverte du spina-bifida et le recours de Mme W... à une interruption thérapeutique de grossesse, débouté les époux W... de leur demande en réparation du préjudice de l'enfant, condamné in solidum M. X... et la société Le Sou médical à indemniser les époux W... de leur préjudice constitué par la perte d'une chance, avant-dire droit ordonné deux expertises sur la réparation de ce préjudice, condamné in solidum M. X... et la société Le Sou médical au paiement de dommages et intérêts provisionnels et débouté la CPAM du Loir-et-Cher de ses demandes contre M. X... et la société Le Sou médical ;

Sur le moyen unique du pourvoi incident formé par M. X... et la société Le Sou médical invoquant l'application de l'article 1er-I de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé qui est préalable, après l'avertissement prévu à l'article 1015 du nouveau Code de procédure civile

Attendu qu'en l'absence de contestation que la faute commise par le médecin dans l'exécution du contrat formé avec Mme W... aurait privé cette dernière de la possibilité de voir déceler l'affection de l'enfant et d'exercer son choix d'interrompre sa grossesse pour motif thérapeutique et que les parents auraient ainsi subi un dommage correspondant à une perte de chance et donc à une fraction des différents chefs de préjudice résultant du handicap, les époux W... pouvaient, avant l'entrée en vigueur de l'article 1er -I, demander la réparation des charges particulières découlant du handicap de l'enfant tout au long de la vie, causées par la faute retenue ;

Attendu que l'article 1er -I de ladite loi, déclaré applicable aux instances en cours, énonce que "nul ne peut se prévaloir d'un préjudice du seul fait de sa naissance, que lorsque la responsabilité d'un professionnel de santé est engagée vis-à-vis des parents d'un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d'une faute caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice, que ce préjudice ne saurait inclure les charges particulières découlant tout au long de la vie de l'enfant, de ce handicap et que la compensation de ce dernier relève de la solidarité nationale" ;

Attendu, toutefois, que si une personne peut être privée d'un droit de créance en réparation d'une action en responsabilité, c'est à la condition, selon l'article 1er du protocole n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, que soit respecté le juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général et les impératifs de sauvegarde du droit au respect des biens ; que tel n'est pas le cas en l'espèce, dès lors que l'article 1er I, en prohibant l'action de l'enfant et en excluant du préjudice des parents les charges particulières découlant du handicap de l'enfant tout au long de la vie, a institué un mécanisme de compensation forfaitaire du handicap sans rapport raisonnable avec une créance de réparation intégrale quand les époux W... pouvaient, en l'état de la jurisprudence applicable avant l'entrée en vigueur de cette loi, légitimement espérer que leur préjudice inclurait les charges particulières découlant tout au long de la vie de l'enfant, du handicap ; d'où il suit, ladite loi n'étant pas applicable au présent litige, que le moyen est inopérant ;

Mais sur le moyen unique du pourvoi formé par la CPAM du Loir-et-Cher

Vu les articles 1147 du Code civil et L. 376-1 du Code de la sécurité sociale ;

Attendu que pour débouter la CPAM de sa demande, l'arrêt attaqué relève que les dispositions de l'article L. 376-1 du Code de la sécurité sociale ouvrant au bénéfice de la Caisse un recours contre le tiers auquel peut être imputé l'accident à l'origine de ses prestations, étaient manifestement inapplicables aux faits de la cause, l'état de l'enfant et celui de sa mère, n'étant pas la conséquence d'un pareil événement ;

Attendu, cependant, que dès lors que la cour d'appel a retenu que les parents avaient subi une perte de chance résultant de la faute commise par M. X..., les tiers payeurs pouvaient, au titre des prestations versées en relation directe avec le fait dommageable, exercer leur recours sur les sommes allouées en réparation de cette perte de chance, à l'exclusion de la part d'indemnité de caractère personnel ;

PAR CES MOTIFS

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a débouté la CPAM du Loir-et-Cher de ses demandes, l'arrêt rendu le 22 octobre 2001, entre les parties, par la cour d'appel d'Orléans ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Orléans, autrement composée ;

Laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens ;

Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la Caisse primaire d'assurance maladie de Loir-et-Cher ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre janvier deux mille six.