CE 1/6 SSR., 23-11-2005, n° 286440, publié au recueil Lebon
CONSEIL D'ETAT
Statuant au contentieux
N°
286440
CONFEDERATION GENERALE DU TRAVAIL - FORCE OUVRIERE
M. Sébastien Veil, Rapporteur
M. Christophe Devys, Commissaire du gouvernement
Séance du 14 novembre 2005
Lecture du
23 novembre 2005
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 1ère et 6ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 1ère sous-section de la Section du contentieux
Vu la requête, enregistrée le 26 octobre 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la CONFEDERATION GENERALE DU TRAVAIL - FORCE OUVRIERE, dont le siège est 141, avenue du Maine à Paris cedex 14 (75680) ; la CONFEDERATION GENERALE DU TRAVAIL - FORCE OUVRIERE demande au Conseil d'Etat :
1°) de suspendre l'exécution de l'ordonnance n° 2005-892 du 2 août 2005 relative à l'aménagement des règles de décompte des effectifs des entreprises ;
2°) à titre subsidiaire, de suspendre l'exécution de cette ordonnance en tant qu'elle s'applique aux établissements comportant plus de vingt travailleurs ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la directive 98/59/CE du 20 juillet 1998 concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatifs aux licenciements collectifs ;
Vu la directive 2002/14/CE du 11 mars 2002 établissant un cadre général relatif à l'information et à la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne ;
Vu le code du travail ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Sébastien Veil, Auditeur,
- les observations de Me Haas, avocat de la CONFEDERATION GENERALE DU TRAVAIL - FORCE OUVRIERE,
- les conclusions de M. Christophe Devys, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision " ;
Sur la condition d'urgence :
Considérant que la condition d'urgence à laquelle est subordonné le prononcé d'une mesure de suspension doit être regardée comme remplie lorsque la décision administrative contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre ; que la confédération requérante est une organisation syndicale dont l'objet social est la défense des intérêts des travailleurs ; que l'ordonnance litigieuse permet, pour l'application des dispositions du code du travail subordonnant leur application à une condition d'effectif, d'exclure les salariés âgés de moins de vingt-six ans du décompte de cet effectif ; qu'au nombre des dispositions dont l'application peut ainsi se trouver écartée ou différée, figurent celles qui imposent aux entreprises la mise en place d'institutions représentatives du personnel appelées, notamment, à intervenir dans les procédures de licenciement collectif pour motif économique ; que l'application de cette mesure porte une atteinte suffisamment grave et immédiate aux intérêts que la CONFEDERATION GENERALE DU TRAVAIL - FORCE OUVRIERE ; qu'ainsi, et alors même que le ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement fait valoir que la mesure contestée a été inspirée par l'objectif de favoriser l'emploi, la condition tenant à l'urgence doit être regardée comme remplie ;
Sur l'existence d'un moyen propre à créer en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision :
Considérant que, saisi de moyens tirés de la méconnaissance des dispositions des directives 98/59/CE du 20 juillet 1998 et 2002/14/CE du 11 mars 2002, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a, par décision en date du 19 octobre 2005, sursis à statuer sur les requêtes tendant à l'annulation de l'ordonnance du 2 août 2005 jusqu'à ce que la Cour de justice des Communautés européennes se soit prononcée sur les difficultés sérieuses d'interprétation que posent ces deux directives, et dont dépend la légalité de cette ordonnance ; que, pour des motifs de la même nature que ceux ayant conduit à prononcer ce renvoi préjudiciel, ces moyens sont, en l'état de l'instruction, propres à faire naître un doute sérieux sur la légalité de l'ordonnance contestée ;
Considérant que, dans ces conditions, il y a lieu de prononcer la suspension de l'exécution de l'ordonnance du 2 août 2005 ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros demandée par la confédération requérante en application de ces dispositions ;
D E C I D E :
Article 1er : L'exécution de l'ordonnance n° 2005-892 du 2 août 2005 est suspendue jusqu'à ce que le Conseil d'Etat ait statué sur les requêtes dirigées contre cette ordonnance.
Article 2 : L'Etat versera à la CONFEDERATION GENERALE DU TRAVAIL - FORCE OUVRIERE la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la CONFEDERATION GENERALE DU TRAVAIL - FORCE OUVRIERE, au Premier ministre et au ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement.
Délibéré dans la séance du 14 novembre 2005 où siégeaient : M. Bernard Stirn, Président adjoint de la Section du Contentieux, Président ; M. Jean-Claude Bonichot, M. Jacques Arrighi de Casanova, Présidents de sous-section ; M. Jean Pierre Ronteix, M. Jacques Faure, M. Olivier Schrameck, M. Bernard Pêcheur, M. Bernard de Froment, Conseillers d'Etat et M. Sébastien Veil, Auditeur-rapporteur.