CA Paris, 1ère, B, 20-11-2003, n° 2002/06720



COUR D'APPEL DE PARIS

1ère chambre, section B

ARRÊT DU 20 NOVEMBRE 2003

(N°, 6. pages)

Numéro d'inscription au répertoire général 2002/06720

Décision déférée à la Cour Jugement rendu le 04/03/2002 par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE de PARIS lèCh/3ème- RG n° 2000/15250-

APPELANTES
- Société LE SOU MÉDICAL

prise en la personne de ses représentants légaux

ayant son siège 130 Rue du Faubourg Saint Denis-75466 PARIS CEDEX 10-

- Madame Y Brigitte demeurant PARIS

représentées par la SCP DUBOSCQ-PELLERIN, avoué à la Cour

assistées de Maître ... G. C., Toque R1230, Avocat au Barreau

de PARIS

INTIMÉES

- Madame X ChristianeX
demeurant VILLEJUIF

représentée par la SCP LAGOURGUE, avoué à la Cour

assistée de Maître ... J., Toque P31, Avocat au Barreau de

PARIS

- LA CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU VAL DE

MARNE

prise en la personne de ses représentants légaux

ayant son siège CRÉTEIL CEDEX représentée par Maître MELUN, avoué à la Cour

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 17 Octobre 2003, en audience publique,

devant la Cour composée de

Monsieur ANQUETIL, président

Madame BRONGNIART, conseiller

Monsieur DIXIMIER, conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats Madame TALABOULMA

ARRÊT
- Contradictoire

- prononcé publiquement par Monsieur ANQUETIL, président

- signé par Monsieur ANQUETIL, président et par Madame TALABOULMA, greffier présent lors du prononcé.


Par jugement contradictoire rendu le 4 mars 2002, le Tribunal de Grande Instance de PARIS a condamné, avec exécution provisoire, le docteur ... ..., gastro-entérologue, et sa compagnie d'assurances LE SOU MÉDICAL, in solidum, à payer
- à la Caisse primaire d'assurance maladie du Val de Marne la somme de 15.403,11euros avec intérêts au taux légal à compter du 29 janvier 2001,

- à Madame Christiane X la somme de 4.200euros en indemnisation de ses préjudices soumis à recours des organismes sociaux et celle de 4.000euros en indemnisation de ses préjudices personnels;

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il les a en outre condamnés à supporter les dépens, y compris les frais d'expertise, et à payer au titre des frais irrépétibles 760euros à la Caisse primaire d'assurance maladie de Val de Marne et 2.285euros à Christiane X;

Les premiers juges avaient été saisis le 28 août 2000 par Christiane X dans les circonstances suivantes
celle-ci, née le 1er décembre 1928, avait subi à la Clinique du Sud à Thiais le 3 octobre 1997 une coloscopie pour l'établissement du diagnostic des douleurs abdominales dont elle souffrait et pour lesquelles elle avait consulté le Docteur ... ... le 25 septembre précédent;

au cours de l'examen, pratiqué sous anesthésie générale par le Docteur ... ..., s'était produite une perforation intestinale qui avait conduit ce médecin à confier immédiatement la patiente, sans réveil intermédiaire et sans perte de temps, à un chirurgien qui avait procédé à une résection colique sans rétablissement de la continuité et une colostomie, la continuité digestive n'ayant été rétablie qu'en février 1998;

Le Professeur D. ..., chirurgien de l'hôpital BICHAT, avait été désigné comme expert par ordonnance de référé du Tribunal de Grande Instance de PARIS en date du 22 octobre 1999; un pré-rapport avait été déposé le 29 janvier 2000 et le rapport définitif avait été remis le 29 février suivant;

C'est de ce jugement que le Docteur ... ... et sou assu.,ar LE SOU MÉDICAL sont appelants; dans leurs dernières conclusions du 12 décembre 2002 ils demandent confirmation du jugement en ce qu'il a jugé que le défaut d'information sur le risque de perforation n'avait pas généré de préjudice indemnisable, dans la mesure où la connaissance de ce risque exceptionnel n'était pas de nature à faire renoncer la patiente à l'examen; ils demandent son infirmation en ce que les premiers juges ont considéré qu'en l'absence de constitution particulière de la patiente décelable avant l'intervention, la perforation résultait nécessairement d'un geste fautif du praticien; ils rappellent les obligations de moyen de ce dernier, l'indication raisonnable de la coloscopie et le risque évalué à 1/100 000 endoscopies d'un aléa technique; ils concluent à l'absence de faute et au débouté de la demande; subsidiairement, ils demandent confirmation de l'évaluation du préjudice faite par les premiers juges, et rejet des demandes tant de Christine X que de la Caisse primaire d'assurance maladie;

Christiane X dans ses dernières conclusions du 12 novembre 2002, conteste que le risque de perforation au cours d'une coloscopie soit exceptionnel, et soutient que l'information de ce risque et de ses conséquences (deux opérations sous anesthésie générale et installation d'un anus artificiel pendant quatre mois) était de nature à influer son consentement à l'examen; elle demande donc réformation de la décision entreprise de ce chef;

sur la faute technique retenue par les premiers juges, elle demande confirmation, relevant les propos de l'expert non formel sur la parfaite exécution du geste médical;

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1ère chambre, section B RG N° 2002/06720 page elle demande la réévaluation de son préjudice et demande 5.335,72euros au titre de l'ITT, 13.720,41euros au titre de l'IPP, 3.048,98euros au titre du pretium doloris, 1.524,49euros au titre du préjudice esthétique et 4.573,47euros au titre du préjudice d'agrément, avec intérêts légaux à compter de la demande et leur capitalisation, subsidiairement la confirmation de la décision entreprise; elle sollicite 1.500euros pour ses frais irrépétibles;

La Caisse primaire d'assurance maladie de VAL DE MARNE, par dernières conclusions du 11 juin 2003, demande confirmation de la décision en ce qui concerne la responsabilité encourue et remboursement des frais d'hospitalisation de Madame X pour un montant de 18.599,75euros comme suite de "l'accident thérapeutique" subi, avec intérêts légaux à compter du 29 janvier 2001, outre 1.000euros pour ses frais irrépétibles;

SUR CE, LA COUR,

sur l'existence d'une faute tenant au geste médical
Vu l'article 1147 du Code Civil,

Considérant qu'il se forme entre le médecin et son client un contrat comportant pour le praticien l'engagement, sinon bien évidemment de guérir le malade, du moins de lui donner des soins consciencieux, attentifs, et, réserve faite de circonstances exceptionnelles, conformes aux données acquises de la science à la date des soins;

Considérant en l'espèce que l'expert retient que l'indication de la coloscopie était raisonnable et pertinente, compte tenu de l'âge de la patiente et des troubles ressentis, même en l'absence d'antécédents familiaux et en présence d'antécédents chirurgicaux "banals" ou malgré l'existence d'une éiientration; qu'il ne résulte pas du compte rendu d'examen du Docteur ... ... ou de ses dires, l'existence d'une maladresse ou d'une manoeuvre fautive, alors que la compression manuelle externe, souvent utile, "semble" (terme prudent de l'expert qui n'a pas été témoin des manoeuvres et ne peut qu'interpréter le compte rendu ou les dires du praticien) avoir été pratiquée "comme d'habitude" par le praticien ou son aide;

que selon le compte rendu du chirurgien qui a opéré la patiente à la suite de la perforation, celle-ci consiste en une déchirure par distension de la convexité de l'anse sigmoïde à son sommet, siège le plus habituel de ces lésions, s'expliquant par l'appui plus ou moins prononcé que doit prendre l'endoscope sur la paroi intestinale pour "prendre le virage" qu le fait monter ensuite vers l'angle gauche;

que ce risque de perforation, connu et évalué à un taux incompressible de 1/100000 endoscopies, en l'absence de polypectomie, existe quel ue soit l'expérience de l'opérateur et nonobstant les conditions de l'examen, qu'il n'est pas nécessairement la conséquence d'une maladresse ou d'un manque de prudence et peut se voir en dehors de tout antécédent chirurgical ou autre; qu'il constitue un aléa technique;

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que l'expert conclut formellement qu'aucune maladresse ou manque de précaution ne peut être reconnu;

qu'en l'état de ces constatations, aucune faute technique n'est établie de nature à engager la responsabilité du Docteur ... ...;

Sur le devoir d'information

Considérant que toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé; que cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus;

qu'il n'est pas contesté en l'espèce que le Docteur ... ... n'a pas informé sa patiente;

Considérant que le praticien qui manque à son obligation d'informer son patient des risques graves inhérents à un acte médical d'investigations ou de soins prive ce dernier de la possibilité de donner un consentement ou un refus éclairé à cet acte; qu'il est, dès lors, de l'office du juge de rechercher, en prenant en considération l'état de santé du patient ainsi que son évolution prévisible, sa personnalité, les raisons pour lesquelles des investigations ou des soins à risques lui sont proposés, ainsi que les caractéristiques de ces investigations, de ces soins et de ces risques, les effets qu'aurait pu avoir une ieiie information quant à son consentement ou à son refus; qu'en l'espèce, l'expert relève que

- la patiente était inquiète d'une pathologie colique possible, souffrant de douleurs abdominales continuelles diffuses avec prédominance à droite, alors qu'elle avait des antécédents nombreux, notamment appendicectomie, cholécystectomie, hystérectomie totale (lettre du Docteur généraliste du 28 juin 1997);

- la patiente disait connaître plusieurs de ses amis ayant subi un tel examen sans incident; être informée par les médias de la fréquence des cancers colo-rectaux; qu'elle était demanderesse d'examen dont elle savait l'intérêt;

qu'il n'est donc pas démontré en l'espèce, qu'informée du risque exceptionnel de perforation (1/100000), certes grave par les conséquences, mais dont l'indication était pertinente aux yeux de l'expert, ainsi qu'il a été dit, que Christiane X aurait refusé l'intervention, que dans ces conditions, l'absence d'information ne peut être considérée comme la cause d'une perte de chance et de l'atteinte à l'intégrité corporelle subie;

Considérant par suite que la demande d'indemnisation de Christiane X, et le recours de la Caisse primaire d'assurance maladie de VAL DE MARNE ne peuvent qu'être rejetés; que le jugement sera infirmé;

Considérant qu'il n'est pas inéquitable de laisser à la charge de chaque partie ses frais irrépétibles d'appel;

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PAR CES MOTIFS,

Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions;

Déboute Christiane X et la Caisse primaire d'assurance maladie de VAL DE MARNE de leurs demandes;

Rappelle en tant que besoin que l'infirmation de la décision entreprise vaut condamnation à restituer les sommes versées au titre de l'exécution provisoire de la décision infirmée;

Rejette toutes autres demandes des parties;

Condamne Christiane X aux dépens de première instance et d'appel, et dit que le montant de ces derniers pourra être recouvré directement par la SCP DUBOSCQ- PELLERIN, avoué, dans les conditions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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