SOC.
PRUD'HOMMES I.K
COUR DE CASSATION
Audience publique du 29 janvier 2003
Rejet
M. SARGOS, président
Pourvois n° A 00-46.322 B 00-46.323JONCTION
Arrêt n° 228 FS P+B+R+I
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant
Sur les pourvois n° A 00-46.322 et B 00-46.323 formés par la société Total raffinage distribution, société anonyme, dont le siège est Total Paris La Défense,
en cassation de deux arrêts rendus le 4 octobre 2000 par la cour d'appel de Nancy (chambre sociale), au profit
1°/ de M. Fernand Y, demeurant Châlons-sur-Marne,
2°/ de Mme Renée X, demeurant Vinon-sur-Verdon,
defendeurs à la cassation ;
Vu la communication faite au Procureur général ;
LA COUR, composée conformément à l'article L. 131-6-1 du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 3 décembre 2002, où étaient présents M. W, président, M. V, conseiller référendaire rapporteur, MM. Boubli, Ransac, Chagny, Bouret, Coeuret, Bailly, Chauviré, Gillet, conseillers, Mmes Lebée, Andrich, MM. Funck-Brentano, Leblanc, Mmes Slove, Farthouat-Danon, Bobin-Bertrand, conseillers référendaires, Mme U, avocat général, Mme T, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. V, conseiller référendaire, les observations de la SCP Peignot et Garreau, avocat de la société Total raffinage distribution, les conclusions de Mme U, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Vu leur connexité, joint les pourvois n° A 00-46.322 et B 00-46.323 ;
Sur le moyen unique
Attendu qu'une procédure de licenciement collectif pour motif économique donnant lieu à l'établissement d'un plan social a été engagée, en 1996, par la société Total raffinage distribution ; qu'à l'issue de cette procédure, M. Y et Mme X, employés de la société, ont été licenciés, non pour motif économique, mais pour faute grave en raison de leur refus délibéré de toute tentative de reclassement ;
Attendu que la société fait grief à l'arrêt attaqué (Nancy, 4 octobre 2000) d'avoir dit que le licenciement des salariés était dépourvu de cause réelle et sérieuse et de l'avoir condamnée à leur payer des indemnités de rupture et une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse alors, selon le moyen
1°/ que l'abus ne saurait être juridiquement protégé, le droit ne pouvant conférer l'irresponsabilité, qu'il n'existe pas de droits discrétionnaires et qu'il y a abus à détourner un droit de sa finalité sociale ; que, dès lors, en l'espèce, eu égard aux termes de la lettre de licenciement tels qu'ils ont été expressément relevés par la cour d'appel, il appartenait à celle-ci de rechercher si au-delà de la liberté individuelle dont dispose chaque individu, le rejet systématique par les salariés de tous les dispositifs de reclassement mis en place par les partenaires sociaux dans le cadre du plan social, traduisant une volonté délibérée de ne pas respecter les finalités de ce plan social afin d'une part de profiter de l'engagement pris par la société TRD de ne pas licencier les salariés jusqu'au 31 décembre 1997, et ainsi de percevoir leur salaire à compter du 1er novembre 1996 sans travailler, et d'autre part, de bénéficier d'un licenciement après le 31 décembre 1997 leur permettant de percevoir d'importantes indemnités de licenciement et des indemnités ASSEDIC sans dégressivité jusqu'à l'âge de la retraite, n'était pas abusif ; qu'en s'abstenant d'une telle recherche, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du Code civil et des articles L.122-8, L. 122-9, L. 122-14-3 et L. 122-14-4 du Code du travail ;
2°/ que le préambule du plan social signé le 31 juillet 1996 précisait 2- "aucune notification de licenciement n'interviendra à l'initiative de la direction avant le 31 décembre 1997 " ; qu'ainsi, la société TRD s'était engagée à ne procéder à aucun licenciement, quel qu'en soit le motif, avant le 31 décembre 1997, de sorte qu'elle ne pouvait pas sanctionner le comportement abusif de MM. Y et X avant cette date ; que, dès lors, en jugeant "que la société TRD était uniquement tenue de ne pas prononcer de licenciement économique jusqu'au 31 décembre 1997 ; qu'elle restait libre de prononcer une sanction pour faute à chaque refus des salariés sans attendre le 2 février 1998", par des motifs déterminants de la solution du litige puisque, d'une part, ils ont permis à la cour d'appel d'en déduire bien à tort que la société TRD aurait pu sanctionner le comportement de MM. Y et X avant le 2 février 1998, et que, d'autre part, ils lui ont interdit de comprendre en quoi le comportement des salariés avait été abusif, ceux-ci ayant refusé toute solution leur permettant de retrouver un travail à fin de percevoir leur salaire pendant plus d'un an, sans avoir à travailler, la cour d'appel a dénaturé le plan social, et violé l'article 1134 du Code civil ;
3°/ que si aux termes de l'article L. 122-44 du Code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires à l'encontre d'un salarié au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, un fait antérieur à deux mois peut être pris en considération lorsque le comportement du salarié s'est poursuivi dans ce délai ; qu'en l'espèce, après avoir rappelé cette solution du droit positif, la société TRD avait expressément relevé dans ses conclusions d'appel "que, tel est bien le cas en l'espèce puisque le comportement abusif de MM. Y et X s'est poursuivi pendant toute la période pendant laquelle ils étaient censés rechercher de manière active un emploi à l'extérieur de l'entreprise, et qu'il n'a été mis fin à leur comportement que par leur licenciement, qu'il convient de souligner, que la société TRD, alors qu'elle n'était nullement tenue de le faire, leur a proposé une nouvelle et dernière fois au cours de l'entretien préalable de bénéficier de la préretraite interne à titre exceptionnel et dérogatoire, proposition qui a été une dernière fois refusée" ; que, dès lors, en ne recherchant pas si le comportement de MM. Y et X ne s'était pas poursuivi jusqu'à leur licenciement de sorte que les dispositions de l'article L. 122-44 du Code du travail ne pouvaient recevoir application, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de réponse à conclusions et violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que le salarié menacé de licenciement pour motif économique est en droit de refuser les mesures de reclassement qui lui sont proposées par l'employeur ; que la cour d'appel, qui a constaté que les salariés s'étaient bornés à ne pas adhérer à la mesure de préretraite interne prévue par le plan social, à refuser une mutation géographique, et à ne pas recourir aux services d'un cabinet "d'outplacement", a pu décider qu'ils n'avaient fait qu'exercer leur droit ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS
REJETTE les pourvois ;
Condamne la société Total raffinage distribution aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la société Total raffinage distribution à payer à M. Y et à Mme X la somme de 1 300 euros chacun ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf janvier deux mille trois.