CAA Bordeaux, 2ème ch., 10-12-2002, n° 99BX00105



LA COUR ADMINISTRATIVE D'APPEL DE BORDEAUX

N° 99BX00105

CENTRE HOSPITALIER REGIONAL UNIVERSITAIRE DE BORDEAUX

M. Barros, Président
Mlle Roca, Rapporteur
M. Rey, Commissaire du gouvernement

Arrêt du 10 décembre 2002

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LA COUR ADMINISTRATIVE D'APPEL DE BORDEAUX

(2ème chambre)

Vu la requête sommaire enregistrée au greffe de la cour le 21 janvier 1999, présentée pour le CENTRE HOSPITALIER REGIONAL UNIVERSITAIRE DE BORDEAUX, dûment représenté par son directeur général et dont le siège social est situé 12 rue Dubernat, Talence (Gironde) ;

Le CENTRE HOSPITALIER REGIONAL UNIVERSITAIRE DE BORDEAUX demande à la cour

- d'annuler le jugement du 12 novembre 1998 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux, d'une part, l'a condamné à payer à M. Larrivet la somme de 233 000 F en réparation du préjudice personnel subi par ce dernier à la suite d'une intervention pratiquée dans ses services le 14 avril 1988 et a mis à la charge de l'établissement les frais d'expertise, d'autre part, a ordonné un supplément d'instruction aux fins de permettre aux parties de produire tous documents relatifs à l'évaluation des préjudices subis par M. Larrivet du fait de ses pertes de rémunération et des troubles de toute nature subis dans ses conditions d'existence du fait de l'atteinte à son intégrité physique et des préjudices subis par la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde ;

- de rejeter la demande présentée devant le tribunal administratif de Bordeaux par M. Larrivet ainsi que les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde ;

Classement CNIJ : 60-02-01-01-02-01-03 60-04-03-03 60-04-03-07

C+

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu le code de justice administrative, ensemble le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 26 novembre 2002

- le rapport de Mlle Roca ;

de M. Larrivet ;

- les observations de Maître Gaillardet, collaboratrice de Maître Canac-Bayle, avocat

- et les conclusions de M. Rey, commissaire du gouvernement ;

Sur la régularité du jugement attaqué

Considérant que si le CENTRE HOSPITALIER REGIONAL UNIVERSITAIRE DE BORDEAUX soutient que le jugement attaqué est insuffisamment motivé au regard des conclusions dont il a été saisi, il n'assortit pas ce moyen de précisions suffisantes permettant d'en apprécier le bien-fondé ;

Sur la responsabilité

Considérant qu'à la suite d'une injection intra-discale d'hexatrione administrée par les médecins du CENTRE HOSPITALIER REGIONAL UNIVERSITAIRE DE BORDEAUX le 14 avril 1988 en vue de soigner des douleurs lombaires, M. Larrivet est atteint d'une fibrose calcifiante à l'origine de séquelles invalidantes importantes ; qu'il résulte de l'instruction, notamment du rapport de l'expert désigné par le tribunal administratif, que ce traitement, autrement appelé nucléorthèse à l'hexatrione, était en 1988 à l'état d'expérimentation et réservé à des patients qui présentaient des symptômes lombo-sciatiques graves résistant aux traitements médicaux usuels ; que les risques de calcification qu'il entraînait étaient connus ; que si le CENTRE HOSPITALIER REGIONAL UNIVERSITAIRE DE BORDEAUX soutient en appel que ces dires seraient inexacts, il ne produit aucun document scientifique justifiant le bien-fondé de ses allégations ; qu'ainsi, en choisissant d'appliquer à M. Larrivet ledit traitement, avec les risques qu'il comportait alors que l'état du patient ne l'imposait pas et que les autres traitements médicaux existants n'avaient pas été tentés, le CENTRE HOSPITALIER REGIONAL UNIVERSITAIRE DE BORDEAUX a commis une faute de nature à engager sa responsabilité ;

Sur le préjudice

* En ce qui concerne le préjudice corporel

Considérant qu'avant de déterminer les droits de la victime, les premiers juges devaient au préalable évaluer l'ensemble du préjudice corporel de M. Larrivet lié à la faute du centre hospitalier et déterminer le montant de la créance de la caisse primaire d'assurance maladie selon les règles applicables en la matière ; qu'en particulier ils ne pouvaient procéder à l'évaluation du montant des troubles qu'a subis l'intéressé dans ses conditions d'existence dès lors qu'ils ne connaissaient pas les conséquences économiques de l'incapacité permanente partielle dont il est atteint ; que, par suite, le centre hospitalier est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a séparé la part personnelle du préjudice subi par M. Larrivet, qu'il a indemnisée par l'octroi de la somme de 230 000 F, de la part physiologique à propos de laquelle il a ordonné un supplément d'instruction ; qu'il y a lieu, dès lors, d'annuler l'article 1er du jugement attaqué portant condamnation à l'encontre de l'hôpital et de renvoyer M. Larrivet et la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde devant le tribunal administratif de Bordeaux pour que le montant de leurs droits respectifs en relation avec la faute du centre hospitalier soit déterminé selon les règles applicables en la matière ; qu'il suit de là que les conclusions de M. Larrivet tendant à l'indemnisation de son entier préjudice ainsi que les conclusions de la caisse tendant au remboursement des prestations servies à M. Larrivet, augmentées des frais futurs qu'elle sera amenée à engager, présentées en appel, ne peuvent qu'être rejetées ;

* En ce qui concerne le préjudice matériel

Considérant que M. Larrivet n'est pas recevable à demander pour la première fois en appel le remboursement des frais qu'il a engagés pour se faire assister dans le cadre de l'expertise ordonnée par le tribunal administratif ;

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner le CENTRE HOSPITALIER REGIONAL UNIVERSITAIRE DE BORDEAUX, tenu aux dépens, à verser 1 000 euros à M. Larrivet et 150 euros à la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde au titre des frais que ceux-ci ont chacun engagés, non compris dans les dépens ;

DECIDE:

Article 1er : L'article 1er du jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 12 novembre 1998 est annulé.

Article 2 : M. Larrivet et la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde sont renvoyés devant le tribunal administratif de Bordeaux pour que soit déterminé le montant de leurs droits respectifs.

Article 3 : Le CENTRE HOSPITALIER REGIONAL UNIVERSITAIRE DE BORDEAUX versera 1 000 euros à M. Larrivet et 150 euros à la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus de la requête du CENTRE HOSPITALIER REGIONAL UNIVERSITAIRE DE BORDEAUX, les conclusions de M. Larrivet et les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde sont rejetés.