Chambre sociale
Audience publique du 29 Juin 1994
Pourvoi n° 91-18.640
Mutuelle du Mans et autres
¢
syndicat CFDT des assurances de la région du Mans.
Cour de Cassation
Chambre sociale
Audience publique du 29 Juin 1994
Cassation partielle.
N° de pourvoi 91-18.640
Président M. Kuhnmunch .
Demandeur Mutuelle du Mans et autres
Défendeur syndicat CFDT des assurances de la région du Mans.
Rapporteur Mme ....
Avocat général M. Terrail.
Avocats la SCP Boré et Xavier, la SCP Masse-Dessen, Georges et Thouvenin.
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que les Mutuelles du Mans IARD et assurances Vie ainsi que la Défense automobile et sportive, ont dénoncé, le 11 mars 1988, les accords qui les liaient aux organisations représentatives du personnel, et notamment un accord conclu, le 30 mars 1987, avec le syndicat CFDT, concernant l'augmentation des rémunérations du personnel et de la prime de vacances et un accord annexe dénommé " convention relative à l'amélioration de la productivité " ;
Sur le premier moyen du pourvoi principal
Attendu que les sociétés font grief à l'arrêt d'avoir déclaré nulle la dénonciation de ce dernier accord, alors, selon le moyen, d'une part, que l'interdiction faite à l'employeur de prendre une décision unilatérale pendant le cours de la négociation collective n'est prévue que pour la négociation des conventions et accords collectifs d'entreprise ; qu'aucune disposition légale n'édicte une semblable restriction au pouvoir de l'employeur pendant la négociation d'une convention ou d'un accord collectif de branche ; qu'il n'est pas contesté en l'espèce que l'accord litigieux du 30 mars 1987 avait été conclu entre quatre sociétés d'assurances (la MGFA, la MGF-Vie, la Mutuelle du Mans et la DAS), d'une part et la CFDT, d'autre part, c'est-à-dire au niveau de la branche ; qu'il n'est pas davantage contesté que les négociations sur les salaires 1988 s'étaient engagées entre les mêmes parties et par conséquent au niveau de la branche également ; qu'en fondant néanmoins sa décision sur les dispositions de l'article L 132-29 figurant à la section III du Code du travail intitulée " conventions et accords collectifs " d'entreprise ", la cour d'appel a violé par fausse application cette disposition légale ; alors, d'autre part, qu'il appartient au juge de restituer aux actes leur exacte qualification sans s'attacher à la dénomination retenue par les parties ; que la cour d'appel ne pouvait, dès lors, déclarer applicable l'article L 132-29 du Code du travail relatif à la négociation des accords d'entreprise motif pris de ce que les parties avaient visé les articles L 132-27 et suivants du Code du travail dans le constat de désaccord et dans leurs conclusions de première instance, sans violer l'article 12 du nouveau Code de procédure civile ; alors encore, que le Syndicat CFDT des assurances de la région du Mans n'a pas soutenu que les sociétés faisaient partie du même groupe d'assurances ni même que l'accord collectif litigieux et la négociation de 1988 concernaient un " groupe d'établissements " au sens de l'article L 132-19 et qu'il s'ensuivrait que les dispositions légales relatives aux accords d'entreprise seraient applicables ; qu'en relevant d'office, sans ordonner la réouverture des débats, le moyen tiré de ce que la convention litigieuse et les négociations entraient dans le cadre de l'article L 132-19 du Code du travail relatif aux accords conclus au niveau d'un groupe d'établissements, la cour d'appel a violé l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ; alors, enfin, que la cour d'appel ne pouvait déclarer applicables les textes relatifs aux accords d'entreprise qu'en caractérisant au préalable l'existence d'une unité économique et sociale entre les sociétés juridiquement distinctes signataires de l'accord du 30 mars 1987 et participant aux négociations de 1988 ; que l'arrêt attaqué qui ne relève aucun fait susceptible de révéler l'existence d'une unité économique et sociale a privé sa décision de base légale au regard de l'article L 132-29 du Code du travail ;
Mais attendu que s'agissant d'une négociation qui avait été engagée, non par une organisation d'employeurs, mais par plusieurs employeurs pris individuellement, peu important, à cet égard, que leurs entreprises aient ou non constitué un groupe, la cour d'appel a pu décider que cette négociation, qui n'avait pour objet que de conclure un accord au niveau de chacune des entreprises en cause, et non pas au niveau de la branche professionnelle, était une négociation d'entreprise soumise aux dispositions des articles L 132-18 à L 132-29 du Code du travail ;
Que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen du pourvoi principal
Attendu que les sociétés reprochent également aux juges du fond d'avoir ainsi statué, alors, selon le moyen, d'une part, que l'interdiction faite à l'employeur d'arrêter des décisions unilatérales concernant la collectivité des salariés tant que la négociation est en cours n'a pour but que d'empêcher l'employeur de priver d'objet la négociation même en substituant sa décision unilatérale à celle devant résulter de la négociation ; que cette interdiction ne peut donc pas s'appliquer à la décision de dénonciation d'une convention collective, laquelle reste impérativement en vigueur pendant le délai d'un an et de surcroît entraîne nécessairement l'obligation de négocier ; qu'en énonçant que l'ouverture des négociations collectives entraînait l'interdiction pour l'employeur de dénoncer une convention collective, la cour d'appel a violé les articles L 132-8 et L 132-29 du Code du travail ; alors, d'autre part, qu'il résulte des propres termes de l'arrêt attaqué que la négociation litigieuse a débuté par une réunion du 18 mars 1988 et que l'accord du 30 mars 1987 a été dénoncé le 11 mars 1988 ; qu'en énonçant néanmoins que la dénonciation en cause était intervenue en cours de négociation et qu'elle était par suite contraire aux dispositions de l'article L 132-29 du Code du travail, la cour d'appel a violé par fausse application ce texte légal ; alors, enfin, que l'article L 132-29 du Code du travail ne prévoit pas la nullité de la décision unilatérale prise par l'employeur pendant le cours de la négociation collective d'entreprise ; qu'en déclarant néanmoins que la dénonciation par les sociétés de l'accord du 30 mars 1987 était nulle, la cour d'appel a de ce chef encore violé le texte susvisé ;
Mais attendu, d'abord, que la cour d'appel ayant constaté que la première réunion prévue pour le 2 mars 1988 avait été reportée par les sociétés au 18 mars, a retenu que la négociation était déjà en cours lors de la dénonciation de l'accord collectif intervenue le 11 mars 1988 ;
Et attendu, ensuite, qu'elle a jugé à bon droit que cette dénonciation constituait une décision unilatérale qui ne pouvait être prise par l'employeur pendant le cours de la négociation, et que, dès lors, elle était nulle et de nul effet ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Mais sur le moyen unique du pourvoi incident
Vu l'article 1153 du Code civil ;
Attendu que la cour d'appel a condamné la CFDT à restituer aux Mutuelles du Mans le montant de la condamnation prononcée à son profit par les premiers juges, avec intérêts au taux légal à compter du 27 septembre 1990 ;
Attendu, cependant, que, jusqu'à la date de l'arrêt, la CFDT détenait cette somme en vertu d'un titre exécutoire ; que, dès lors, elle ne pouvait être tenue, son titre ayant disparu, au paiement des intérêts au taux légal qu'à compter de la notification de l'arrêt valant mise en demeure ;
D'où il suit qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a fixé au 27 septembre 1990 le point de départ des intérêts de la somme devant être restituée aux Mutuelles du Mans, l'arrêt rendu le 3 juin 1991, entre les parties, par la cour d'appel d'Angers ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Angers, autrement composée.